Le salon des Solutions
environnementales du Grand Ouest

Les Actualités

Le lancement du nouveau nucléaire, décidé par Emmanuel Macron, provoque des réactions atomiques

13/11/2021

Le lancement du nouveau nucléaire, décidé par Emmanuel Macron, provoque des réactions atomiques

Le président Macron a annoncé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.        © Olrat

Lors d'une allocution télévisée, le président de la République a décidé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Entre incompatibilité légale, promesse non tenue, déni démocratique ou défi ambitieux, les réactions ne l'ont pas épargné.

En matière de nucléaire, le cap est donné. « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires », a déclaré lors d'une allocution télévisée, mardi 9 novembre au soir, le président de la République, Emmanuel Macron – sans préciser leur nombre, leur puissance ou la technologie choisie. Cette décision, bien qu'attendue de pied ferme, est prise plus rapidement que prévue.

Le président souhaitait initialement attendre que l'EPR de Flamanville (Manche) soit entré en service. Pour rappel, ce réacteur de type EPR1 – installé sur le même site que deux réacteurs, de précédente génération, déjà en activité depuis les années 1980 – ne sera pas mis en service avant la fin de l'année 2022. Nuançant les paroles d'Emmanuel Macron, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, précise qu'il s'agira uniquement de maintenir le parc nucléaire à sa capacité actuelle. L'idée est de « permettre, à partir de 2035 et en complément de la production à partir (d'énergies) renouvelables qui sera alors devenue majoritaire dans le mix électrique, la poursuite de l'électrification des usages et le remplacement d'une partie des réacteurs nucléaires existants qui arriveront en fin de vie ».

Malgré tout, Jean-Bernard Lévy, P-DG d'EDF, se réjouit déjà de cette décision hâtive et se dit « prêt à répondre au défi de la transition énergétique par la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et l'accélération dans les renouvelables ». Ordonner si tôt la construction de nouveaux réacteurs a néanmoins essuyé de nombreuses indignations.

Une décision « sans base légale » ?

La première critique réside dans l'incompatibilité de cette décision avec le cadre réglementaire. « Un président de la République ne décide pas seul de l'autorisation de nouveaux réacteurs, rappelle Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit environnemental, sur Twitter. Le droit impose toujours la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité », en référence aux dispositions des lois LETCV et énergie-climat. Cette dernière prévoit notamment de consulter, dès 2023 (pour la période 2024-2028), les parlementaires dans l'élaboration de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Par ailleurs, la PPE actuellement en vigueur conditionne le lancement d'un programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires à « la formalisation d'un retour d'expérience consolidé de la mise en service des premiers EPR, notamment Flamanville-3 ».

Par conséquent, l'annonce du chef de l'État est perçue comme un déni démocratique. Une décision « aussi lourde pour la nation ne peut résulter du seul fait présidentiel, sans aucun débat démocratique », clame Delphine Batho, du parti Génération écologie. De plus, « en annonçant unilatéralement cette décision, le "président-candidat" Macron revient sur son engagement de ne pas lancer de nouveaux réacteurs avant la mise en service de l'EPR de Flamanville, commente Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique pour Greenpeace. Il est encore une fois dans un déni démocratique en ne consultant ni le parlement ni l'ensemble des citoyennes et des citoyens sur ce choix de société et, ce, à six mois de l'élection présidentielle ».

D'autres considèrent cette déclaration comme la première manœuvre électorale d'un « président-candidat » déjà en campagne. « S'il s'était exprimé en tant que candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron aurait été tout à fait légitime à se prononcer en faveur d'une relance du nucléaire, souligne Arnaud Schwartz, le président de France Nature Environnement (FNE). Cela aurait fait partie du débat politique. Le problème, c'est qu'il a annoncé cette relance du nucléaire en tant que président de la République, ce qui est non seulement parfaitement hors du cadre légal, mais surtout une véritable insulte à l'intelligence démocratique. »

Nucléaire, le « mirage » énergétique ?

Cette prise de décision devait, qui plus est, être précédée de la publication d'un rapport sur « le nouveau nucléaire », évoquée, en octobre, par le ministère de l'Écologie. Une partie de ce document (obtenu par Contexte) ferait état d'un coût oscillant entre 52 et 64 milliards d'euros pour six EPR2 – à comparer aux 46 milliards estimés par la Cour des comptes en juillet 2020 – et d'une mise en service au plus tôt en 2040 – cinq années de plus que ce sur quoi s'est basé RTE dans son étude « Futurs énergétiques 2050 ». À titre de comparaison, la construction de l'EPR1 de Flamanville, accusant toujours un retard, a été évaluée à plus de 19 milliards d'euros. De plus, des deux seuls EPR1 en activité, dans la centrale de Taishan en Chine, il en est un à l'arrêt depuis l'été.

De ce fait, beaucoup jugent déjà le choix d'Emmanuel Macron « hors-sujet », comme le Réseau Action Climat (RAC), ou de « mirage », comme Matthieu Orphelin (EELV), porte-parole de Yannick Jadot. « Annoncer une relance du nucléaire et la construction de nouveaux réacteurs alors que l'industrie nucléaire enchaîne les fiascos est totalement déconnecté de la réalité », s'insurge Nicolas Nace, de Greenpeace. Pour Delphine Batho, il est ainsi « fallacieux de présenter des EPR, qui ne seraient pas construits avant 2040, comme une solution face à l'urgence climatique qui commande d'organiser la décroissance de la consommation d'énergie d'ici à 2030 ».

Annoncer une relance du nucléaire et la construction de nouveaux réacteurs alors que l'industrie nucléaire enchaîne les fiascos est totalement déconnecté de la réalité

 Nicolas Nace, Greenpeace

 En outre, s'appuyant sur les derniers scénarios de RTE ou de l'association Négawatt, le Réseau Sortir du nucléaire (RSN) souligne qu'une relance n'est pas indispensable pour garantir l'indépendance énergétique désirée par le chef de l'État : « une France 100% renouvelable est possible, sans rupture d'approvisionnement et dans l'atteinte de nos objectifs climatiques ». À l'opposé, le syndicat Syntec-Ingénierie considère le nucléaire comme la seule énergie capable de « garantir l'indépendance énergétique de la France ».

Réviser pour mieux financer ?

A contrario, la filière nucléaire félicite l'ambition du président de la République. « L'industrie nucléaire française est aujourd'hui prête à construire ces réacteurs EPR2, qui créeront de nombreux emplois qualifiés, multiplieront les innovations et feront reconnaître une nouvelle fois ce savoir-faire industriel français à travers le monde, affirme Cécile Arbouille, déléguée générale du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen). Nous avons maintenant hâte de connaître les détails de cette annonce, tous les acteurs de la filière attendent l'engagement d'un véritable programme, avec l'annonce d'une série de réacteurs EPR2. » L'association La Voix du nucléaire va même encore plus loin, en appelant le gouvernement à « réviser la PPE ainsi qu'à faire sauter le verrou des 63 (gigawatts) nucléaires installés imposée par la (loi) LTECV qui empêchent l'optimisation du mix énergétique français ».

L'Observatoire du nucléaire, quant à lui, estime EDF « incapable de construire et de financer des EPR » ou de « financer la rénovation des réacteurs actuels ». Concernant ces derniers, l'organisme créé par l'activiste Stéphane Lhomme, prévient qu'ils devront « inévitablement (être fermés) les uns après les autres dans les années à venir, en espérant que ce soit avant une catastrophe et non du fait d'une catastrophe, comme au Japon en 2011 ».

Enfin, EDF, de son côté, s'il se dit prêt à relever le défi posé par Emmanuel Macron, demande certaines conditions. Auditionné ce mercredi 10 novembre au Sénat, son P-DG, Jean-Bernard Lévy, les a adressées devant la Commission des affaires économiques – jugeant elle-même l'annonce du chef de l'État « tardive et floue » et regrettant son manque d'ambition. En matière de choix technologiques, le P-DG appelle, par exemple, à inscrire la conception d'un prototype de « petit réacteur modulaire » (ou SMR), capable de produire le dixième d'un EPR, dans la prochaine PPE. Bien qu'évoqués dans certains scénarios 2050 formulés par RTE, il le destine seulement à l'exportation : « Nous n'avons pas l'intention de tester l'acceptabilité d'une installation nucléaire là où il n'y en a pas déjà. » En outre, selon Jean-Bernard Lévy, « il faut un cadre propice à des investissements de long terme d'une ampleur rare, probablement comparable aux très grands investissements des Trente Glorieuses ».

Félix Gouty / www.actu-environnement.com

Annonce Publicitaire