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Les zones à faibles émissions, un sujet explosif pour les élus

26/10/2021

Les zones à faibles émissions, un sujet explosif pour les élus

                                                                                                                                                Sergiy Serdyuk - Fotolia

En 2023, les zones à faibles émissions barreront l’accès de nombreux centres-villes aux véhicules de plus de dix ans et aux diesels, soit 70 % du parc actuel. Au risque de nourrir un sentiment d’injustice sociale. Sur ce sujet inflammable, les maires réclament le réengagement de l’Etat.

Jugé en 2019 pour inaction climatique par la Cour de justice de l’Union européenne, l’Etat français voit l’étau se resserrer. Il a été condamné en août 2021 par le Conseil d’Etat à verser, pour le premier semestre, 10 millions d’euros d’astreinte aux Amis de la terre et à d’autres associations qui avaient saisi les juges administratifs pour les mêmes griefs – les dépassements systématiques et répétés d’oxyde d’azote (NOx) ou de particules fines dans plusieurs villes.

Le gouvernement a de nouveau été mis en cause, le 30 septembre, par le tribunal administratif de Paris et il a jusqu’à la fin 2022 pour faire cesser et réparer le « préjudice écologique causé par le non-respect des engagements en matière de réduction de gaz à effets de serre ». Sans astreinte financière à ce stade.

Après les décisions des juridictions françaises et internationales et l’abaissement des seuils fixés par l’Organisation mondiale de la santé pour les deux plus dangereux polluants de l’air (les particules fines émises par les transports, l’industrie, le chauffage, l’agriculture, ainsi que l’oxyde d’azote, émis principalement par le trafic routier), il était tentant pour le gouvernement de s’emparer de la loi « climat et résilience » (1) pour faire acte d’allégeance.

CHIFFRES-CLÉS

50 % des émissions d’oxyde d’azote – l’un des polluants de l’air – sont dues aux véhicules diesels, selon des mesures dans la région lyonnaise. En revanche, au niveau des particules fines (PM2,5), la voiture ne représente que 8 % des sources d’émissions, contre 51,7 % pour le résidentiel (chauffage, notamment).

Sources : Citepa 2020, Atmo Auvergne - Rhône-Alpes 2019, C3i (bureau de conseil).

Nouvelle échéance en 2024

L’exécutif a convaincu les parlementaires d’adopter l’extension des zones à faibles émissions (ZFE) aux agglomérations de plus de 150 000 habitants qui dépassent les seuils de pollution. Soit plus d’une trentaine à l’horizon 2024, en plus des onze métropoles déjà prévues. Et d’instaurer un calendrier des interdictions resserré.

D’après l’Agence de la transition écologique (Ademe), ces zones permettraient la réduction des concentrations de NOx et de particules fines : jusqu’à 12 % des PM10 et jusqu’à 15 % des PM2,5. Si le bien-fondé de la mesure ne fait pas débat chez les élus, les maires écologistes de Strasbourg, de Grenoble et de Lyon poussant même à la roue, ils savent en revanche qu’il va falloir déminer.

Le calendrier national des interdictions

  • 2023 : Crit’Air 5 (diesel d’avant 2001, essence d’avant 1997).
  • 2024 : Crit’Air 4 (diesel d’avant 2006, motos, scooters du 1er juin 2000 au 30 juin 2004).
  • 2025 : Crit’Air 3 (diesel d’avant 2011, essence d’avant 2006).

La loi « climat et résilien­ce » ne fixe pas d’échéance pour les Crit’Air 2 (diesel récent). Ce sont les élus qui décident du calendrier. Objectif :  sortie du diesel en 2030, Strasbourg et Lyon visant 2028.

Défausse du gouvernement

« Interdire les véhicules de plus de dix ans est une mesure violente. Les utilisateurs de la voiture au-delà des hypercentres sont majoritairement ceux qui n’ont pas de solutions alternatives, et les voitures anciennes sont la propriété des ménages les plus modestes », prévient ­Jean ­Coldefy, consultant en mobilité.

La transition écologique en douceur, ça n’existe pas, et le gouvernement a réussi à se débarrasser de l’affaire sensible des ZFE en se défaussant sur les élus locaux. La loi « climat et résilience » leur impose en effet le calendrier, la définition des périmètres, les mesures dérogatoires et le contrôle. « Les radars de lecture automatisée des plaques d’immatriculation [Lapi] pour la vidéoverbalisation étaient initialement promis par l’Etat pour 2022. Ils ne seront pas prêts en 2023… » se désole ­Sylvain ­Laval, vice-président de la commission « mobilité » à l’Association des maires de France (AMF).

« Ne pas faire un truc aussi simple qui existe dans d’autres villes européennes, c’est absurde ! Je suis prêt à ­attaquer l’Etat en justice en inaction contre la pollution », réagit ­Bruno B­ernard, patron (EELV) du Grand Lyon (lire aussi ci-dessus).

Le contrôle automatique de l’accès d’un territoire à un nombre élevé de véhicules soulève aussi des questions liées à la protection de la vie privée. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 prévoit un contrôle journalier limité « à plus de 15 % du nombre moyen journalier de véhicules circulant au sein de la zone ». Cette surveillance a fait l’objet d’une mise en garde de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) en août 2020.

« La tentation sera forte de laisser passer les véhicules interdits à travers les mailles du filet », prévient le représentant de l’AMF, par ailleurs élu EELV de Grenoble Alpes métropole (49 communes, 445 100 hab.), qui a déjà fermé son centre-ville aux véhicules utilitaires et aux poids lourds depuis plusieurs années. Devant l’urgence climatique, difficile de s’inscrire contre les ZFE, mais les élus, même écologistes, estiment que l’Etat a pris les choses à l’envers. « Il a posé un calendrier législatif contraignant, alors qu’il faut six à sept ans pour construire une ligne de tramway », calcule ­Sylvain ­Laval.

Bombe à retardement

Si l’extension du nombre de ZFE est passée relativement inaperçue cet été au moment du vote de la loi « climat et résilience », elle ne fait pas plus de bruit aujourd’hui. « Les gens ne savent pas ce qui les attend », craint le représentant de l’AMF. Pourtant, la sortie du diesel fait l’unanimité contre elle : 68 % de la population y est opposée, selon un sondage « JDD »-Ifop publié début octobre. Une bombe à retardement ? Le réveil risque d’être brutal le 1er janvier 2023 pour les premiers retoqués des ZFE.

« Nous démarrons une concertation de cinq mois animée par la Commission nationale du débat public. On calibrera les périmètres d’interdiction, nos moyens financiers pour les aides à la conversion et au rétrofit (conversion d’un véhicule thermique à une motorisation électrique). Je suis en train de dimensionner un service dédié à la gestion des dérogations. Et nous avons voté 24 kilomètres de tramway dans les banlieues est, ainsi qu’un vaste réseau express vélo », veut se rassurer le président du Grand Lyon, ­Bruno ­Bernard.

Mais avant que des TER, des tramways, des réseaux express vélo, des transports à la demande et des voitures partagées apportent des solutions ­alternatives à l’autosolisme, supprimer les diesels, voire la voiture, afin de dissiper la pollution auto­mobile est un pari risqué pour les élus qui se sentent bien seuls pour faire passer la pilule des ZFE. La maire (EELV) de Strasbourg, ­Jeanne ­Barseghian, en est bien consciente, qui promet des aides financières mirobolantes pour accompagner les convertis (lire son témoignage ci-dessus).

Pour améliorer la qualité de l’air, il ne faut pas se limiter à la mobilité. L’approche doit être systémique et concerner d’autres leviers d’action : « Le chauffage domestique est, par exemple, responsable respectivement de 49 % et 33 % des émissions de particules fines PM10 et PM2,5 », avance, dans une note sur les ZFE, Camille Combe, au sein de La Fabrique de la Cité.

Ce n’est pas un hasard si les collectivités financent le renouvellement des appareils de chauffage au bois. « D’autres secteurs responsables de la pollution de l’air [le bâtiment, l’agriculture], dont la réduction des émissions est plus lente, doivent être ciblés », ajoute le chargé de mission du think tank lié au groupe Vinci.

www.lagazettedescommunes.com



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