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Véhicules électriques : une dynamique qui peine encore à se structurer

20/03/2024

Véhicules électriques : une dynamique qui peine encore à se structurer

Les voitures électriques ne représentent que 12 % des commandes des entreprises pourtant grandes pourvoyeuses du marché de l'occasion.    © NVB Stocker

Plus de modèles, de bornes, de réglementation… L'année 2024 verra-t-elle s'épanouir l'électromobilité ? Certains signaux pourraient le laisser penser. Mais le faible taux d'électrification des entreprises déséquilibre l'ensemble de la filière.

Afin de décarboner enfin les transports – premier secteur émissif de CO2 du pays, toujours en hausse depuis 1990, la France a fait le choix d'électrifier massivement son parc de véhicules depuis près de dix ans : en s'appuyant sur des aides financières, d'une part, sur la fiscalité et une réglementation plus contraignante, d'autre part. Aujourd'hui, même si d'autres pays font mieux dans ce domaine, comme la Suède, la Finlande ou les Pays-Bas, la pompe semble bel et bien amorcée. Sur 1,8 million de voitures neuves immatriculées en France en 2023, près de 304 000 étaient électriques. Ainsi, plus d'un million de véhicules à batterie, un million et demi en y ajoutant les hybrides très critiquées, circulent désormais sur les routes. Une goutte d'eau pour un parc de 39 millions de véhicules légers, mais assez prometteuse.

L'évolution paraît d'autant plus encourageante que les difficultés post-Covid sur les chaînes d'approvisionnement semblent enfin se résorber, permettant un retour à la normale en termes de délais d'attente, que l'autonomie des batteries s'est grandement améliorée et que les constructeurs proposent aujourd'hui des modèles électriques pour chaque segment. De nouvelles offres sont d'ailleurs annoncées pour 2024, notamment pour les segments B (citadines) et B-SUV très populaires en France : la Renault 5 ou la Fiat Panda, par exemple. Autour de 25 000 euros tout de même... En janvier 2024, les volumes de commande dans l'électrique se révèlent déjà supérieures de 19 % à ceux de janvier 2023.

Les ménages en avance sur les entreprises

À ce tableau, il faut ajouter les progrès enregistrés en matière de bornes de recharge. Fin février, la France en comptait 123 000 ouvertes au public, avec un taux de disponibilité de l'ordre de 81 %, dont 9 100 ultrarapides, pour un total de 1,8 million en y incluant les prises privées. Derrière ce bilan global se cachent toutefois de fortes disparités. En effet, les voitures électriques représentent déjà 23 % des achats de véhicules neufs des ménages – en général les plus aisés, mais seulement 12 % des commandes des entreprises. Presque deux fois moins. Une situation très compliquée puisque ce sont précisément ces dernières qui dominent le marché du neuf, avec 57 % des immatriculations, puis qui alimentent celui de la seconde main, quatre ans plus tard en moyenne. Sachant qu'en France, la majorité des particuliers (85 %) acquièrent leur automobile d'occasion.

À ce titre, les entreprises ont une double responsabilité, souligne Léo Larivière, responsable plaidoyer transition automobile au sein de la fédération d'ONG Transport & Environment (T&E), celle d'« assurer la transition du parc vers l'électrique, puis permettre aux particuliers qui n'ont pas les moyens de s'offrir du neuf d'accéder à leur tour aux véhicules à batterie. » Or, même si le groupe d'assurance Opteven observe une hausse de 89 % des ventes d'occasion électriques en novembre 2023 par rapport à novembre 2022, celles-ci ne représentaient encore que 89 000 voitures en 100 % électriques et 86 000 en hybrides rechargeables, sur 5 millions.

Quand le moteur de la bascule cale

Attendre que les voitures électriques arrivent dans les flottes comme par magie ou que les salariés se saisissent du sujet, cela ne marche pas. Il faut organiser la transition ” - Léo Larivière, Transport & Environment

La loi LOM de 2019 (loi d'orientation des mobilités) impose pourtant aux 3 500 entreprises détenant plus de 100 véhicules, loueurs compris, de verdir leur parc en intégrant un certain quota de véhicules à faibles émissions dans leurs commandes : 10 % jusqu'en 2023, 20 % depuis le 1er janvier 2024. La proportion passera à 40 % en 2027, puis à 70 % à partir de 2030. Mais, selon un rapport de T&E publié en février dernier, la grande majorité d'entre elles (60 %) ne respectent toujours pas leurs obligations. L'année dernière, Free ou l'Apave étaient à 1 %, la SNCF et Carrefour à 4 %, Air liquide à 7 %. À l'origine de six commandes de voiture neuve sur dix, les loueurs sont particulièrement hors des clous et ralentissent la transition en continuant à privilégier les motorisations thermiques ou hybrides.

Pourtant, « un haut niveau d'ambition est possible », assurent les auteurs de l'étude, citant Sanef à 63 %, Spie à 60 %, La Poste à 46 % ou EDF à 40 %. Contrairement aux ménages qui se décident surtout en fonction des prix, achetant plutôt des voitures étrangères, notamment asiatiques, les entreprises se tournent plus volontiers vers la production française ou les marques nationales. Un élément favorable à la souveraineté industrielle, tant souhaitée par le Gouvernement, qui plaide lui aussi en faveur d'un effort d'électrification soutenu de la part des grandes compagnies.

Voir petit pour grandir

Mais rien n'est vraiment simple sur ce terrain : pour mieux structurer la filière de l'électromobilité, il faudrait aussi que ces sociétés privilégient les modèles les plus petits, ceux dont le prix a d'ailleurs le moins baissé, les plus susceptibles d'intéresser les particuliers par la suite. « Le succès du leasing social l'a bien montré, les attentes sont fortes en matière de petits véhicules accessibles », observe Léo Larivière. Or, les grandes berlines, et les SUV représentent une grande partie des achats des sociétés. Selon l'Avere-France, celles-ci garderaient en outre plus longtemps leurs véhicules électriques que leurs voitures thermiques avant de les revendre. Elles auraient aussi recours moins souvent au leasing pour ce type de motorisation.

Quant aux constructeurs, ils fabriquent deux fois moins de petits modèles (A et B) que de gros, dotés d'une empreinte environnementale moins bonne et qui perpétuent l'image contreproductive d'un véhicule électrique réservé aux riches. « Aujourd'hui, ceux qui détiennent les clefs de la transition sont les constructeurs qui décident de ce qu'ils mettent sur le marché, notamment une vingtaine de multinationales, mais aussi une quinzaine de banques, via la location de longue durée, et pour finir les grandes entreprises et quelques ménages aisés, résume Léo Larivière. Cette évidence passe complètement sous les radars des débats qui se concentrent à tort sur le grand public. C'est sur ces leviers structurels qu'il faut agir, pourquoi pas par le biais de la fiscalité, de la taxe annuelle sur les émissions ou de la taxe sur les véhicules de fonction, par exemple, plutôt que sur une myriade de petits acteurs qui n'ont pas les moyens de contribuer à la transition. »

Vers un durcissement de la loi

Les acteurs publics semblent l'avoir bien compris. Convaincue que les parcs d'entreprise représentent « une cible de choix pour accélérer la transition vers une mobilité à émissions nulles », la Commission européenne a lancé une consultation le 6 février dernier, jusqu'au 30 avril, pour recenser les réactions et les mesures à prendre, avant de s'emparer officiellement du sujet. En France, le député Renaissance Damien Adam a, pour sa part, déposé une proposition de loi, le 30 janvier dernier, « visant à accélérer et à contrôler le verdissement des flottes automobiles. »

Avec le soutien probable du ministre de l'Écologie, d'une partie de son groupe et de plusieurs ONG, comme T&E, le Réseau Action Climat, Respire ou le Forum pour l'investissement responsable, l'élu envisage de fixer aux sociétés un rythme plus soutenu, 10 % de plus chaque année, en termes de quotas d'achat de véhicules à faibles émissions, excluant les hybrides rechargeables : 30 % en 2025, 40 % en 2026, 50 % en 2027… pour atteindre 90 % en 2031 et 95 % en 2032. Outre un renforcement des modalités de reporting, le texte instaurerait des contrôles, inexistants aujourd'hui, ainsi que des amendes pour les contrevenants : de 10 000 à 20 000 euros pour non-transmission des informations, jusqu'à̀ 1 % du chiffre d'affaires pour non-respect des objectifs, assortie d'une restriction de l'accès aux marchés publics. S'il est soutenu par le gouvernement, le projet pourrait débuter son parcours législatif ce printemps.

La difficile conduite du changement

« Attendre que les voitures électriques arrivent dans les flottes comme par magie ou que les salariés se saisissent du sujet à leur niveau, cela ne marche pas. C'est aux directions d'organiser la transition », approuve Léo Larivière. Le député aura malgré tout fort à faire pour convaincre les réticents de se rallier à cette cause. Car le pire ennemi de la bascule n'est pas d'ordre financier : plus cher à l'achat, le véhicule électrique se rentabilise vite à l'usage. Il n'est pas non plus uniquement lié à la question de la recharge : elle peut désormais se faire à de multiples endroits, du domicile à l'espace public en passant par le site de la société. « Il est surtout d'ordre psychologique », précise Clément Molizon, délégué général de l'Avere-France. Pour son association, cette gestion du changement reste un point faible des politiques d'électromobilité. « Plusieurs entreprises nous ont fait part de leurs difficultés à impliquer leurs collaborateurs et à les rassurer lors de la transition. Certaines se heurtent même à des obstacles en interne qui retardent leurs projets », peut-on lire sur la page de son site consacré au lancement d'une enquête d'opinion.

Un constat qui n'étonne pas Laurent Petit, responsable marketing et business development de la filiale France du loueur Alphabet. « La réticence au passage à l'électrique est instinctive, explique-t-il. Et elle est d'autant plus forte que la méconnaissance de ces sujets est importante. » Le contexte social au sein de la société peut aussi se révéler peu propice « et une telle évolution impulsée par la direction être mal perçue », complète Clément Molizon. D'où la nécessité d'un accompagnement conséquent. En 2035, RTE projette un parc de 8,5 millions de véhicules électriques ; en 2050, il devrait en compter 36 millions.

Nadia Gorbatko / actu-environnement

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