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Peut-on construire de nouvelles centrales hydroélectriques en France ?

29/01/2023

Peut-on construire de nouvelles centrales hydroélectriques en France ?

Le barrage de Roselend en Savoie / Image : Damien Labat - Flickr CC

Pour lutter contre le réchauffement climatique, tous les moyens de production d’électricité bas-carbone doivent être mobilisés. Le solaire, l’éolien et le nucléaire, sans oublier l’hydraulique : celui dont on parle peut-être le moins. Mais, peut-on seulement construire de nouvelles centrales hydroélectriques en France ? La question se pose. Et Bernard Tardieu, vice-président du pôle énergie de l’Académie des technologies, président d’honneur du Comité français des Barrages et Réservoirs et ancien vice-président de la Commission Internationale des grands barrages, partage avec nous ses réflexions à ce sujet.

L’hydroélectricité, les experts de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en parlent comme du « géant oublié » de la production bas-carbone. « Géant » parce que l’hydraulique produit plus d’électricité dans le monde que n’importe quelle autre source bas-carbone. Environ 55 % de plus que le nucléaire. Et plus que toutes les autres énergies renouvelables réunies. Dans plus d’une trentaine de pays, il est même la première source d’électricité. En France, sa part dans le mix électrique est de l’ordre de 12 %.

« Géant », donc. Mais pas moins « oublié ». Parce qu’en matière de renouvelables, le solaire et l’éolien ont tendance à attirer toutes les attentions. Ainsi, selon les informations recueillies par l’AIE, la croissance de l’hydroélectricité devrait ralentir au cours de la décennie à venir. Malgré des atouts incontestables dans le contexte de transition vers des énergies propres. Et ce, au-delà de son côté bas-carbone. Nous y reviendrons plus tard.

En France, peu de potentiel restant pour l’hydroélectricité

Intéressons-nous d’abord au potentiel de l’hydraulique. Dans le monde, l’AIE estime que près de la moitié du potentiel économiquement viable reste inexploité. Économiquement viable signifie-t-il aussi respectueux de l’environnement ? Oui, répondent des chercheurs de l’université de Leeds. Ils ont identifié plus de 4 500 sites répondant à des critères environnementaux stricts et qui pourraient être exploités de manière rentable. De quoi générer plus de 5 pétawattheures d’électricité par an (soit 5 000 TWh). Le cinquième de la consommation mondiale actuelle.

En France, le potentiel technique considéré comme également économiquement exploitable serait de l’ordre de 70 térawattheures par an (TWh/an). Sachant que ces dernières années, l’hydroélectrique a produit de l’ordre de 60 TWh/an, il resterait donc une dizaine de TWh supplémentaires à exploiter. Mais seulement 3 TWh pourraient encore l’être dans le respect du classement des cours d’eau qui interdit la construction de tout nouvel ouvrage sur certains d’entre eux.



Alors peut-on encore envisager de nouvelles installations hydroélectriques en France ? La réponse de l’exécutif est la suivante : il faut « préserver les capacités de production en les renforçant partout où cela est encore possible ». « C’est en cours sur le Rhône », nous apprend Bernard Tardieu. « La Compagnie Nationale du Rhône est en train d’augmenter la capacité de production grâce à l’installation de petites centrales qui offrent près de 40 MW de puissance supplémentaire et qui permettent de turbiner le débit écologique relâché en permanence » explique-t-il.

Des centrales hydroélectriques « au fil de l’eau » ou « de lac »

L’information mérite quelques précisions. Rappelons d’abord qu’il existe plusieurs façons de produire de l’hydroélectricité. Essentiellement grâce à des centrales « au fil de l’eau » et à des centrales « de lac ». Dans le premier cas, il est nécessaire de s’installer sur une rivière ou un fleuve à gros débit. En France métropolitaine, cela a été fait par le passé sur le Rhin — sur lequel la production est déjà bonne — et sur le Rhône, donc. Au total, une puissance de 5 gigawatts (GW) installée sur un parc hydroélectrique total d’un peu plus de 25 GW.

Et pour revenir à la question du débit, celui que l’on qualifie d’écologique correspond au débit minimal pour que l’installation ne nuise ni à la faune ni à la flore. « Turbiner ce débit écologique sur le Rhône, ce n’est pas négligeable », nous assure Bernard Tardieu.

« Au-delà de ce type de petites installations, j’imagine mal que l’on puisse, aujourd’hui, justifier de barrer une nouvelle rivière. Il ne faut pas oublier que l’opération modifie lourdement le système. Avec un barrage, on vient bloquer l’eau et les sédiments. Quand ça a été fait sur le Rhin et le Rhône, il y a eu des modifications de paysages et d’usages. Mais à l’époque, la population en a tiré avantage. Elle était solidaire de la décision. Il n’est pas certain que ce soit encore le cas aujourd’hui », commente notre expert de la question.

Concernant les centrales de lac, elles représentent actuellement environ 18 GW de puissance installée en France métropolitaine. Des barrages de haute chute qui se remplissent à la fonte des neiges et quand il pleut. « Certaines de ces centrales ont été construites en série », nous précise Bernard Tardieu. « Dans ces cas-là, on peut imaginer surélever le barrage placé le plus haut dans la série de barrages pour augmenter sa capacité et valoriser toute la chaîne d’usines hydroélectriques placées le long de la rivière. Cela demande de la réflexion et des réaménagements autour du lac. Mais dans la mesure où la population y est déjà habituée, il devrait être possible d’aboutir à un consensus social. De telles surélévation ont peu d’impacts sur le biotope et sur l’environnement en général. »

Notez que l’opération n’aurait pas ici pour objectif réellement d’augmenter la puissance des installations, mais bien d’augmenter le stock d’eau et donc la capacité de stockage de l’énergie et de soutien au réseau électrique. Une telle augmentation de 20 % pourrait être étudiée en France.

Le cas particulier des STEP

Mais selon notre expert de l’hydroélectricité, s’il n’était qu’un seul investissement à faire dans notre pays, ce serait certainement celui destiné à augmenter notre puissance installée de « Stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage », les fameuses STEP. « Nous en sommes à quelque 5 GW installés. Des STEP qui fonctionnent tous les jours. »

Avant d’aller plus loin, rappelons-en le principe. Une STEP, c’est deux réservoirs. Un réservoir bas dont l’eau est pompée lorsque l’électricité est abondante et peu chère. « De préférence un réservoir déjà existant, pour limiter les conséquences sur les populations riveraines ». Entre 500 et 1 000 mètres plus haut, un autre réservoir qui permet de turbiner lorsqu’au contraire, l’électricité se fait rare et que les prix grimpent. Un second réservoir « construit en très haute montagne, dans des zones non habitées ou le débat potentiel est celui de la biodiversité, des paysages et des usages touristiques ». Le tout avec un rendement très intéressant, de l’ordre de 85 %. Et dans un délai qui semble raisonnable.

« Une STEP, c’est une très grosse machine, 4 ou 5 turbines/pompes à fabriquer, livrer et installer les unes à côté des autres. Et des tunnels à creuser pour faire monter et descendre l’eau. Le plus long reste tout de même toujours d’obtenir les autorisations. D’un point de vue technique, il est possible de démarrer une STEP en 5 ans. »

Des STEP pour soutenir le déploiement des renouvelables

Mais pourquoi les STEP apparaissent-elles aujourd’hui plus que jamais importantes ? « Parce que pendant les périodes de froid pendant lesquelles le vent ne souffle pas — des périodes qui peuvent durer en hiver jusqu’à 10 jours et sur presque l’ensemble de l’Europe —, nous avons besoin d’une solution qui permette d’éviter d’en appeler au gaz fossile ou de trop vider les lacs de nos barrages. Dans ces moments-là, la demande en puissance peut aller jusqu’à 85 ou même 100 GW. Or, même lorsque notre nucléaire fonctionne parfaitement, il plafonne à 60 GW. À midi, le soleil peut aider à passer la pointe, mais il manque toujours entre 20 et 30 GW », nous explique Bernard Tardieu.

Les capacités de stockage des STEP protégeraient donc notre réseau électrique dans un contexte de déploiement massif de moyens de production renouvelable de type solaire et éolien. Un atout supplémentaire pour l’hydraulique déjà connu pour son côté bas-carbone, prédictible et pilotable.

Aujourd’hui, toutefois, la plupart des STEP installées sur le territoire métropolitain ne permettent pas de produire plus de 4 ou 5 heures à pleine puissance. Deux seulement présentent une capacité allant jusqu’à une vingtaine d’heures. « La planification nationale qui prévoit jusqu’à 4 GW de STEP en plus ne le précise pas, mais c’est bien ce type d’installation dont nous aurons besoin à l’avenir. Des STEP avec de grandes retenues qui permettent de produire jusqu’à 30 ou 40 heures. »


Notre expert en hydroélectricité nous donne l’exemple de Grand’Maison (Isère), la STEP la plus importante de France. Avec une puissance de l’ordre de 1 GW. Et une durée de production à pleine charge de 22 heures. « Si on avait visé le double, il aurait simplement fallu construire le barrage du Verney avec une hauteur supérieure de quelques mètres. C’est toujours possible, mais la centrale hydroélectrique de grand Maison, elle-même, est calée pour la cote maximale actuelle du lac du Verney. »

Mais au-delà du techniquement possible, il y a aussi la question du modèle économique. EDF semble vouloir rester frileux sur ses investissements. « Et sur le marché de puissance, les prix restent plutôt guidés par l’effacement des industriels. L’amélioration de la rentabilité économique des STEP et de leur modèle économique est un choix politique qui demande une approche volontariste », conclut Bernard Tardieu.

Nathalie MAYER

www.revolution-energetique.com

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