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« Le transport urbain seul correspond à environ 8% des émissions totales mondiales de GES »

03/11/2023

« Le transport urbain seul correspond à environ 8% des émissions totales mondiales de GES »

Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Charlotte Liotta, doctorante au CIRED (École des Ponts ParisTech, ENPC) et à l’Université Technique de Berlin, co-autrice avec Vincent Viguié, chercheur en économie du changement climatique au CIRED, d’une étude sur les moyens de rendre le transport urbain plus respectueux du climat (publiée dans la revue Nature Sustainibility en mai 2023), vulgarisée dans un article pour The Conversation. Elle y revient sur leurs travaux et leurs conclusions sur les politiques climatiques à mettre en oeuvre en ville.

Le Monde de l’Énergie —Vous avez récemment cosigné une étude sur la décarbonation des transports, en analysant 120 villes sur les 5 continents. Quel est l’impact du transport urbain sur les émissions mondiales de GES, et comment ont-elles évoluées ?

Charlotte Liotta —Les villes sont responsables de 70% des émissions mondiales de GES, et, en particulier, on estime que le transport urbain seul correspond à environ 8% des émissions totales mondiales de GES. Il s’agit donc d’un secteur qui ne doit pas être négligé dans les stratégies de réduction des émissions de GES, d’autant plus que les tendances récentes ne sont pas bonnes. Dans l’Union Européenne, le transport est le seul secteur dont les émissions n’ont pas diminué par rapport à leur niveau en 1990, et ces émissions augmentent encore plus rapidement dans les pays en développement.

Le Monde de l’Énergie —Pour répondre à l’urgence climatique, vous vous demandez comment rendre les transports urbains moins nocifs pour le climat, sans générer d’impacts négatifs pour les populations. Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de ce défi, les politiques mises en œuvre vous semblent-elles à la hauteur de l’enjeu ?

Charlotte Liotta —Tous secteurs confondus, les engagements pris par les Etats restent insuffisants pour réduire les émissions de CO2 au niveau mondial et limiter le réchauffement climatique à +1.5°C. Les villes ont donc un rôle essentiel à jouer afin de combler les manques d’ambitions nationaux ; elles l’ont déjà montré, par exemple en 2017 lorsqu’à la suite de la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris, plusieurs centaines de villes américaines se sont engagées à malgré tout respecter les objectifs de cet accord.

Cependant, l’engagement et la capacité d’action d’une ville en matière de lutte contre le réchauffement climatique est très inégal, et dépend de multiples facteurs : sa taille, son niveau de développement, son orientation politique… Ainsi, certaines villes « leaders » vont par exemple faire partie de réseaux de villes engagées pour le climat (Global Covenant of Mayors, C40,…), mettre en place des politiques publiques et prendre des engagements ambitieux : les villes du Global Covenant of Mayors se sont par exemple engagées à réduire leurs émissions de 66% en 2050 par rapport à un scénario de référence.

L’enjeu est de systématiser ces politiques, de les généraliser aux villes considérées comme « followers ». Or, on a du mal à estimer le potentiel de ces villes en termes de réduction des émissions aujourd’hui, car elles ont souvent des caractéristiques très différentes des villes « leaders » : notre étude vient en partie répondre à cette question.

Le Monde de l’Énergie —Vous détaillez quatre axes principaux pour décarboner le transport urbain : la taxation des véhicules polluants, les incitations à utiliser des véhicules consommant moins d’énergie fossile, les investissements dans les transports en commun, et les politiques de planification urbaine limitant l’étalement urbain. Quels leviers vous semblent les plus simples à mettre en œuvre, quels sont ceux dont l’acceptabilité sera la plus complexe ?

Charlotte Liotta —Il faut distinguer entre les politiques les plus efficaces en termes de réduction des émissions de GES (planification urbaine pour limiter l’étalement urbain, incitations à utiliser des véhicules propres), et celles qui vont également avoir un fort impact en termes de santé et de qualité de vie des habitants (investissements dans les transports en commun ou taxation des véhicules polluants, qui vont permettre de limiter les pollutions urbaines et sonores par exemple).

Il faut également distinguer entre les stratégies de court et de long terme : la taxation des véhicules polluants peut prendre effet rapidement, mais les investissements dans les transports en commun sont une stratégie à plus long terme. C’est une combinaison de ces deux types d’instruments qui permet de réduire les émissions de GES.

Finalement, notre étude montre qu’il n’y a pas de solution unique à la question de la réduction des émissions de GES en milieu urbain, mais qu’il faut adapter les stratégies mises en place aux caractéristiques de chaque ville. Nos résultats indiquent qu’une combinaison de politiques adaptées à chaque ville permet de réduire les émissions de GES liées au transport de 22% en 15 ans dans un échantillon de 120 villes dans le monde, tout en améliorant la qualité de vie des habitants.

En ce qui concerne l’acceptabilité de ces stratégies, le diable est dans les détails : comment seront ciblés les investissements dans de nouvelles lignes de transports en commun, comment seront utilisés et redistribués les revenus générés par la taxation des véhicules polluants… Là encore, il n’y a pas de solution unique, et les stratégies doivent être adaptée à chaque ville.

Le Monde de l’Énergie —Votre modélisation indique des fortes différences de stratégie optimales en fonction des régions du globe. Pourquoi ?

Charlotte Liotta —C’est en grande partie due à la forte inertie des formes urbaines : une fois qu’un bâtiment ou un quartier est construit, on ne peut plus le modifier qu’à la marge. Si une ville est peu dense, et que ses habitants se déplacent majoritairement en voiture privée, alors il faudra très longtemps avant de pouvoir la rendre plus dense et favorable aux déplacements à pied ou en transports en commun.

Il faut donc mettre en place des stratégies adaptées à chaque ville. En Amérique du Sud par exemple, où les villes sont généralement très denses et les transports en commun insuffisamment développés, mettre en places de nouvelles lignes de transports en commun peut être très efficaces. Une telle stratégie n’aura pas le même impact en Amérique du Nord où les villes ne sont généralement pas assez denses pour que de nouvelles lignes de transports en commun soient rentables, ou même empruntées par les habitants. Dans ce contexte, une transition vers des véhicules propres et une politique de long terme de densification de la ville sera plus efficace. Notre étude montre également que les stratégies optimales peuvent varier d’une ville à l’autre au sein d’un même pays.

Le Monde de l’Énergie —Plus globalement, pensez-vous que la réduction de l’impact carbone du transport urbain passe d’abord par des politiques locales, par des politiques nationales, ou par de grands accords internationaux ?

Charlotte Liotta —Le transport est l’un des secteurs sur lesquels les villes peuvent avoir un impact important, par exemple en limitant l’étalement urbain, en développant des pistes cyclables ou transports en commun, en mettant en place des péages urbains ou zones à faibles émissions… C’est moins le cas pour le secteur du bâtiment par exemple, qui dépend souvent de standards et régulations mis en place au niveau national.

Mais des politiques locales seules ne peuvent pas suffire à la réduction des émissions liées au transport. D’abord parce que le transport interurbain, pour le tourisme par exemple, représente une large part des émissions de GES. Ensuite parce que certains instruments, certaines politiques sont mis en place au niveau national ou international : c’est le cas de l’interdiction de la vente de voitures neuves thermiques, décidée au niveau européen par exemple. C’est donc une combinaison de politiques locales, nationales et internationales qui pourra permettre de réduire l’impact carbone du transport urbain.

lemondedelenergie

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