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Déconfinement : entretien avec Jacques Pommeraud, Bureau Veritas

29/04/2020

Déconfinement : entretien avec Jacques Pommeraud,  Bureau Veritas

Alors qu'Edouard Philippe s'apprête à présenter le plan de déconfinement du 11 mai pour la France, nombre d'entreprises et industriels reprennent déjà leurs activités ou s'apprêtent à le faire. Comment s'assurer de la sécurité des salariés et reprendre dans le respect des mesures sanitaires ? Jacques Pommeraud, directeur général France et Afrique du groupe mondial d'expertise et de certification Bureau Veritas, livre à L'Usine Nouvelle les bonnes pratiques à suivre.

L'Usine Nouvelle. - Comment travaille Bureau Veritas alors que la demande des industriels est très forte pour préparer la reprise ?

Jacques Pommeraud. - Notre mission depuis presque 200 ans, c'est d'assurer la santé, la sécurité, et plus généralement de créer un monde de confiance. Confiance des consommateurs, confiance des salariés, confiance des entreprises. Nous sommes convaincus qu'il y aura un avant et un après Covid-19, c’est-à-dire que les problématiques d'hygiène qui auparavant étaient règlementaires et importantes, mais pas forcément prioritaires pour tout le monde, vont passer au premier plan, que ce soit pour les consommateurs comme pour les salariés. Et on pense qu'elles vont rester à ce niveau sur le long terme.

Nous entrons dans une deuxième phase : beaucoup d'entreprises se préparent à la relance. A l’évidence, elles vont avoir besoin d'un accompagnement expert sur les thématiques de la santé et la sécurité. Cela fait quelques semaines déjà que l’on note l’émergence d’importantes demandes tous secteurs confondus, industriels et grand public. Nous avons donc mis au point des approches simples et applicables facilement.

Que proposez-vous aux industriels et à leurs usines ?

Pour le BtoB, on réalise un audit des risques, des pratiques et des réflexions qui ont déjà été faites au sein de ces entreprises. Par exemple, quelles sont les Equipements de Protection Individuelle (EPI) nécessaires ? Dois-je changer la circulation des flux dans mon usine ? Dois-je modifier mon processus de nettoyage ? Quid des vestiaires et des interactions entre les personnes ?

Par ailleurs, on les accompagne dans l'application de bonnes pratiques, sous forme de guide par rôle (guide pour le manutentionnaire, guide pour le personnel de la cantine, etc.). Ces guides sont déclinés sous forme de e-learning, puisque nos clients veulent s'assurer que les salariés en ont bien pris connaissance. Enfin, on les aide à mettre en place un plan de reprise d'activité, c'est un sorte de plan projet, qui va du nettoyage à la modification de flux, parfois à la mise en place de barrières physiques, de séparateurs de postes de travail, etc. Ça se conclut par des audits sur site où on va vérifier pour nos clients que les pratiques du guide sont vraiment opérationnelles. Chez Bureau Veritas France, nous avons appelé ce plan lié à la reprise d’activité " Restart your Business with BV ". 

Vous avez mis en place une certification spécifique au risque Covid-19 ?

Nous délivrons une attestation, qui permet au chef d'entreprise de rassurer les collaborateurs sur le fait que le guide et donc l'ensemble des pratiques sanitaires ont été effectivement mis en place. Cela va du centre d'appels au magasin de distribution, en passant par des centres de données, à des sites industriels très complexes. La demande est très élevée et vient de tous les secteurs de l'industrie. 

Elle n'a pas de valeur juridique, c'est donner de la confiance en somme ?

Oui, avant tout il faut rassurer. Nous avons, par ailleurs, une approche BtoC, avec un label, à destination de tous les établissements qui reçoivent du public, que ce soient des chaînes de magasins ou autres. Nous allons auditer de la même façon en ajoutant un certain nombre de pratiques additionnelles spécifiques au BtoC pour les consommateurs et les clients. La différence dans le BtoC, c'est que l’on a un audit initial, qui permet de recevoir le label s'il est positif. Ensuite, une visite mystère systématique, aura lieu pour s'assurer que les pratiques sont toujours en place. Le label prendra la forme d’un sticker que vous pouvez coller sur votre devanture. Il sera, par ailleurs, référencé sur un site web dédié que les clients désireux d’en savoir plus sur leur lieu de villégiature ou de travail pourront consulter.

Et que proposez-vous pour accompagner la désinfection des sites ?

Premièrement, une offre de tests en laboratoire qui vérifie les surfaces pour chercher d'éventuelles traces de Covid. On prélève et on envoie les échantillons. En second lieu, beaucoup d'établissements savent bien qu'en ayant arrêté un site pendant 6 semaines, des risques nouveaux apparaissent. Vous avez, par exemple, des bactéries qui peuvent se mettre dans les canalisations, dans les réseaux d’eaux froides ou chaudes... Il faut donc tester plus fréquemment que ce qui était prévu avec le plan de contrôle classique.

Autre point : toutes les entreprises cherchent à se procurer des masques, or aujourd'hui une très grande proportion de ces masques n'ont pas de certificat ou de faux certificats. Nous avons donc mis à la disposition de nos clients des experts qui peuvent analyser les certificats, avant que le client ne passe sa commande et ne débourse son argent, pour s'assurer qu'il achète des masques de qualité et homologués.

Quand les industriels prévoient-ils une reprise de leur activité ?

Certains secteurs ne sont pas du tout à l'arrêt, voire fonctionnent à plein régime comme la distribution alimentaire, la filière agricole, les entrepôts. A l'inverse, d'autres sont stoppés comme la restauration. Ce que l'on voit notamment, c'est que l'activité est plus forte dans l'Ouest que dans l'Est de la France. 

On observe que toute la supply-chain des clients qui sont en contact avec du public est en train de se préparer pour le 11 mai, date prévisionnelle du dé-confinement annoncée par le gouvernement. En revanche, les industriels - pour ceux qui étaient fermés - essayent de redémarrer un petit peu avant. Mais avec une activité restreinte, à cause des mesures de précaution. Côté productivité des entreprises, nous ne serons pas au 11 mai à une activité nominale. Par ailleurs, cette date maintenant assez proche, Cela exige de bien embarquer en amont salariés et instances représentatives du personnel.

Justement, en termes de calendrier, que recommandez-vous ?

Je dirais que si vous n'avez pas déjà entamé des réflexions, des guides de bonnes pratiques, vous êtes en retard. La complexité est forte. Etablir des bonnes pratiques pour un site industriel ou une usine, cela prend minimum une semaine. Ensuite, il faut faire des changements opérationnels : respect des distances, revoir les flux de personnes, changer certaines pratiques de travail… Là aussi, c'est une semaine voire quinze jours, sans compter qu'il faut parfois adapter les postes de travail. Et en parallèle, il faut communiquer avec les salariés pour anticiper la reprise.

Dans quels secteurs la décontamination et le déconfinement seront les plus difficiles ? 

Il y a une inconnue, que sont les autorisations données par les pouvoirs publics. Je pense à la restauration, à l'évènementiel qui veulent reprendre mais il faut pour cela que le gouvernement les y autorise. En général, les secteurs les plus compliqués, ce sont ceux où vous avez des flux importants de personnes ou des interactions importantes, et pour lesquels les postes de travail ne peuvent pas être facilement adaptés. Ce sont bien entendu ces secteurs qui seront plus difficilement enclins au dé-confinement et donc à la décontamination.

Quels sont les prérequis pour mener à bien sa reprise d’activité ?

Premièrement, il faut un engagement fort de la direction. Il faut nommer et former en interne un responsable Covid avec des moyens, de l'autorité et des supports. Il faut organiser une gestion de crise de réouverture avec la direction de l'immobilier, celle des achats, de la sécurité et des ressources humaines. Nous aidons notamment à structurer cette démarche. Ce n'est pas évident pour les plus petites entreprises comme les TPE/PME qui n'ont pas forcément toutes les ressources et qui doivent gérer leur trésorerie et répondre à la demande de leurs clients. 

Deuxièmement,  il y a le volet établissement et communication des règles, propre à chaque rôle. Dans le BTP par exemple, un guide de bonnes pratiques est paru très en avance pour sécuriser les chantiers. Il faut avoir connaissance de ce qui est exigé par les autorités.

Troisièmement, il faut réfléchir aux règles de distanciation au sein des équipes. Par exemple, nous recommandons de ne plus faire de buffets, pour la cantine, il faut des emballages individuels, il ne faut pas qu'il y ait de file d'attente. Il faut également renforcer les règles d'hygiène : utilisation de gel, lavage des mains, EPI adaptés. C'est une organisation propre à trouver pour chaque entreprise.  

Quatrièmement, ce sont toutes les thématiques dont s'occupe en général la direction de l'immobilier. Les règles de nettoyage et de désinfection des locaux doivent être renforcées. Il faut nettoyer bien sûr, mais à quelle fréquence et avec quelle intensité ? Les tenues de travail doivent être lavées certes, mais à quelle température ? Est-ce que mon fournisseur est capable de les emporter en lingerie sans risque ? Il y a deux sujets qui ne sont pas tranchés dans le nettoyage et sur lesquels les autorités travaillent d’arrache-pied pour élaborer des recommandations. Un, faut-il utiliser la climatisation ? Deux, quid des aspirateurs ? Faut-il les adapter ? Une chose recommandée assez clairement, est le remplacement des sèche-mains dans les zones de repos ou les toilettes, par des distributeurs de papier à usage unique. Cela relève du bon sens, mais ce sont des changements essentiels assez simples à faire pour s'assurer d’une bonne gestion des risques. Pour les lieux qui reçoivent du public, il y a un autre volet, qui concerne les gestes barrières vis-à-vis du client. C'est aussi une nouvelle mission pour les responsables sécurité des sites industriels. Ils doivent vérifier que les nouvelles règles sont appliquées. Qu'est-ce que je fais si je vois quelqu'un sans masque ? 

Enfin, il y a la gestion des cas suspects ou avérés. Est-ce que mon contremaître ou mon chef d'établissement sait quoi faire exactement s'il apprend qu’une personne vient de se faire dépister alors qu’elle était encore sur le site hier ? Que faire si quelqu'un tousse ? Ce sont de nouvelles règles qu'il faut écrire. Rien ne doit être improvisé !

Une fois mis en place tout ce processus, n’y aura-t-il pas un fort impact sur la productivité au sein de l'entreprise ?

Sauf dans certains secteurs précis, il y beaucoup d’univers, surtout industriels, comme les usines, où il est possible d'avoir des postes de travail aménagés, en sécurité, avec la bonne distance. Si on rajoute à ça les bons EPI, normalement une usine doit fonctionner pouvoir proche de la normale. Ce qui amène des contraintes supplémentaires, c'est ce qui gravite autour de la ligne de production : le nettoyage, l'entrée et la sortie des personnels.

Etes-vous inquiet pour la continuité de l'activité de l'industrie française, notamment les PME, compte tenu de toutes ces mesures à appliquer ?

Je crois que c'est un peu trop tôt pour le dire. Cela dépendra notamment de la rapidité à trouver un vaccin ou une solution à cette crise sanitaire. Je pense que les entreprises sont de manière générale très adaptables et que les collaborateurs aussi. Ils veulent reprendre le plus vite possible.

Qu’est-ce que cela représente en termes de surcoûts?

Il y aura forcément des surcoûts, ne serait-ce que pour acheter des masques appropriés ou du gel hydro-alcoolique, ou en augmentent les fréquences de nettoyage... Mais je pense que c'est quelque chose qui peut se contrôler et que c'est utile pour apporter la confiance nécessaire à une reprise de production rapide. 

Propos recueillis par Hubert Mary et Gaëlle Fleitour

source : l'usine nouvelle

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