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Projets EnR à gouvernance locale : quelles retombées pour les territoires ?

19/11/2021

Projets EnR à gouvernance locale : quelles retombées pour les territoires ?



Selon les deux instituts de recherche, ISEA Projects et EIFER, les projets énergie renouvelable à gouvernance locale suscitent de fortes attentes, qui requièrent une évaluation plus objective et globale de leur valeur sociale et socioéconomique.

Le 5 novembre 2021, le ministère de la Transition écologique a publié une feuille de route des dix mesures en faveur des énergies renouvelables citoyennes[1], trois jours avant la tenue des Assises de l’énergie citoyenne du 8 novembre. Le même jour, le mouvement Énergie partagée » a officialisé son label-qualité des projets citoyens de production d’énergie renouvelable[2]. Ces actions témoignent de l’intérêt pour les installations d’énergies renouvelables (EnR) à gouvernance locale, catégorie qui englobe les projet EnR citoyens. Pourtant, à ce jour, aucune évaluation scientifique robuste de ces projets n’a été réalisée, notamment en tenant compte des différents types de retombées (sociales, économiques, environnementales, etc.).

Contexte et spécificités des projets EnR à gouvernance locale

Les installations d’EnR à gouvernance locale forment une catégorie spécifique de projets dans laquelle les citoyens, des acteurs de la société civile et, dans un certain nombre de cas, des collectivités, prennent part de manière significative à la gouvernance, au financement et plus généralement aux décisions prises pendant la durée de vie du projet et de l’installation.

Ces démarches suscitent un intérêt croissant depuis plus d’une décennie. On en dénombre à ce jour plus de 200 pour une puissance théorique de 389 MW[3]. Depuis 2015 et la loi relative à la transition énergétique et croissance verte (LTECV), on observe une évolution du cadre réglementaire à leur égard. Les dernières évolutions ont porté sur les modalités des appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) avec le remplacement du bonus « investissement participatif » par la clause « gouvernance partagée » et sur la transposition dans le droit français de la définition des communautés énergétiques et des modalités de soutien les concernant.

Les projets EnR à gouvernance locale se distinguent par leur format de mise en œuvre ainsi que l'implication et la coopération qu’ils impliquent entre les parties prenantes, de même qu’avec les acteurs du territoire.

Ces spécificités amènent certains acteurs du secteur, tels qu’Énergie Partagée ou l’Ademe, à mettre en avant leurs retombées économiques, sociales et environnementales[4]. Il manque notamment une méthode structurée et approfondie pour les retombées sociales.

Comment mesurer les retombées sociales ?

À ce jour, des études ont porté sur les motivations des acteurs impliqués dans des projets EnR à gouvernance locale ou sur leurs retombées économiques territoriales[5]. Elles constituent une première étape importante pour évaluer leurs effets.

Les retombées économiques ou sociales sont en particulier évoquées[6] et suscitent l’intérêt, comme en atteste par exemple le numéro spécial d’avril 2021 du Journal des énergies renouvelables intitulé « Retombées socioéconomiques des EnR »[7]. Un recueil qualitatif réalisé entre 2017 et 2020 par le cabinet ISEA Projects et par European Institute for Energy Research (EIFER) auprès d'experts du secteur des EnR à gouvernance locale[8] (entretiens et ateliers participatifs) a identifié un ensemble de retombées et d’innovations sociales potentielles. Nous pouvons citer par exemple l’implication, la montée en compétence, voire la professionnalisation de certains acteurs ; le nombre de sympathisants ; la réappropriation des enjeux énergétiques et des moyens de production ; la modification des comportements de consommation d’énergie, etc.

Si ces impacts potentiels sont souvent cités, ils ne sont pour l’heure pas encore estimés ou mesurés de manière rigoureuse et systématique, en tenant compte de l’ensemble des retombées directes et indirectes, positives et négatives. Une raison souvent invoquée est la difficulté à les quantifier, ce qui les place d’office dans le registre de l’évaluation qualitative. Pourtant, certains acteurs se lancent dans l’aventure, comme par exemple la coopérative Coopawatt[9] qui a réalisé en 2019 une évaluation d’impact social des projets EnR à gouvernance locale qu’elle accompagne[10], ou encore la région Occitanie qui a initié en 2019 un premier travail d'estimation de leur dimension sociale à partir de quelques indicateurs d’impact[11].

Des outils à adapter à l'évaluation des retombées sociales

Cette démarche est à poursuivre indépendamment des difficultés qu’elle peut poser. En effet, prendre le temps d’examiner les enjeux méthodologiques en détail montre qu’il serait possible d’estimer, voire de quantifier une partie des retombées sociales des projets à gouvernance locale, ainsi que leurs retombées socioéconomiques indirectes ou intangibles (emplois induits, montée en compétence et professionnalisation, externalités, etc.).

Les défis d'une telle démarche sont nombreux : représentativité de l’échantillon d’étude au regard de la diversité des projets et du nombre potentiellement limité d’observations, faible disponibilité des porteurs de projets, comparaison avec les projets de référence dits conventionnels, temporalités différentes entre projets qui compliquent la mesure d’impact, nécessité d’une évaluation objectivable par les parties prenantes, etc.

Par conséquent, la méthodologie demande à être adaptée à ces spécificités. Les sciences humaines et sociales, parmi lesquelles l'économie comportementale et la psychologie sociale et cognitive, proposent un éventail de solutions méthodologiques et de modes d’investigation, de nature qualitative ou quantitative. Parmi ceux-ci figurent des enquêtes ainsi que des démarches participatives et expérimentales. Il est notamment possible d’analyser l’évolution du projet et de la comparer avec d’autres projets (à gouvernance locale ou classique). Une telle combinaison permettrait d’évaluer de façon plus robuste les retombées sociales des projets EnR à partir d’un faible nombre d’observations, tout en tenant compte de l'influence du contexte territorial. La méthode d’évaluation d’impact social peut aussi constituer un cadre global utile pour mener ce type de protocoles mixtes, en mobilisant notamment les différentes approches citées ci-dessus ainsi que des outils mis en pratique par l'économie sociale et solidaire.

Le recours à des échelles de mesure offre également une idée de leur valeur quantitative. Quand cela est possible, il est ensuite envisageable de réaliser une monétisation de certaines retombées, sur la base de méthodes d’évaluation issues de l’économie telles que les prix hédoniques, les coûts de déplacement, l’analyse par coûts évités, les méthodes indirectes par le marché, l’analyse conjointe ou encore l’évaluation contingente.

Il s’agit de bien circonscrire les critères correspondant à chaque mécanisme ou élément à évaluer, en identifiant des indicateurs et des métriques adaptées. Si les euros ou les équivalents temps plein constituent deux métriques très souvent recherchées, d’autres permettent d’étendre le spectre de l’évaluation et s’avèrent pertinentes pour identifier puis mesurer des valeurs territoriales, telles que la montée en compétence des acteurs, les émissions de GES, la préservation de la biodiversité ou encore l’adaptation au changement climatique. Ainsi, le principal enjeu est d’accepter de ne pas toujours établir une traduction monétaire car celle-ci n’est que partiellement adaptée à la nature spécifique des retombées sociales et environnementales.

Une approche par la chaîne de valeur territoriale

Les projets EnR à gouvernance locale présentent de multiples facettes dont certaines très spécifiques. Cloisonner l’analyse à la seule dimension économique ne permet pas de prendre en compte la richesse des effets sociaux ou environnementaux, ni leurs interrelations. Il est donc nécessaire de cartographier l’ensemble des acteurs, ainsi que les ressources ou les enjeux territoriaux qu’ils mobilisent ou sur lesquels ils s’appuient, et de déterminer la nature de ces interactions, autrement dit les chaînes de valeurs territoriales qu’elles forment. Par exemple, dans un cas que nous avons étudié, l’installation d’un parc photovoltaïque va générer des kilowattheures que consomment les sociétaires. Ces derniers adhèrent à une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) ; celle-ci fait appel à des artisans ou entreprises locales pour l’installation et la maintenance du parc, générant non seulement des retombées économiques (soutien à l’emploi, revenus, etc.) mais aussi permet à ces artisans de construire ou renforcer leur expertise, laquelle profite indirectement à d’autres installations (de la même façon que le parc a potentiellement profité de l’expertise antérieure de ces acteurs). Cette SCIC contribue aussi à des retours d’expériences auprès d’acteurs intermédiaires et facilitateurs reconnus du secteur, l’Ademe mais aussi des associations telles qu’Énergie partagée ou des structures d'accompagnement de projets (Énergies citoyennes locales renouvelables, etc.).

Ces chaînes de valeur territoriales matérialisent la manière dont sont organisés non seulement les acteurs, mais aussi les ressources. Il s’agit donc de représenter les processus par lesquels des ressources véritablement territoriales, c'est-à-dire ancrées et spécifiques à un périmètre donné, peuvent être créées et mobilisées. Ce cadre d’action est plus ou moins bien identifié par les acteurs des projets EnR à gouvernance locale, mais il semble important de faire l’effort de l’expliciter de façon systématique et rigoureuse si l’on souhaite recenser l’ensemble des retombées et ne pas se cantonner aux plus évidentes, ou limiter l’analyse à sa dimension qualitative.

En effet, éclairer précisément ces processus permet d’identifier les métriques et les indicateurs pour mesurer les retombées et, par conséquent, de choisir la méthode d’analyse la plus appropriée.

Élaborer une évaluation plus objective et globale

Les projets EnR à gouvernance locale donnent une place nouvelle aux citoyens, aux collectivités et aux territoires par l’intermédiaire de processus innovants, tels que le co-développement par exemple[12].

Les retombées de ces projets sont décrites dans la littérature scientifique et opérationnelle comme multiples, multi-dimensionnelles et évoluant dans le temps. De ce fait, elles se révèlent difficiles à saisir et à mesurer sans un appareillage méthodologique robuste et pluridisciplinaire.

Amener les acteurs, dont les porteurs de projets eux-mêmes, à expérimenter puis à s'approprier la démarche d’évaluation constitue un enjeu central encore mal saisi. Ce processus requiert de trouver un accord sur une méthodologie d’évaluation des retombées socioéconomiques sur laquelle tous les acteurs concernés puissent ensuite s’appuyer pour décider et agir. « Poser des capteurs », autrement dit utiliser une grille commune d’indicateurs dès la phase amont des projets, permettrait à la fois de favoriser la pratique de l’évaluation par les porteurs de projet et de générer des données couvrant toute la durée de vie des projets, ce qui faciliteraient au final toute évaluation ad hoc.

Pour répondre aux attentes vis-à-vis de ces projets EnR à gouvernance locale, il faut désormais élaborer une évaluation plus objective et globale de leur valeur sociale et socioéconomique, qui prenne en considération leurs spécificités, leurs avantages et leurs inconvénients, directs et indirects.


Avis d’experts proposé par les auteurs : Dorian Litvine(Cabinet ISEA Projects), Antoine Tabourdeau (EIFER), Benoit Boutaud (EIFER).

  • Cabinet ISEA Projects – Etudes, recherche et accompagnement en Sciences Sociales et comportementales[13]
  • Groupes de recherche « Energy Transitions, Markets, Environment» et « Climate neutral communities », EIFER–European Institute for Energy Research[14]

 

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[1] https://www.ecologie.gouv.fr/10-mesures-developpement-des-energies-renouvelables-citoyennes

[2] https://energie-partagee.org/label-energie-partagee/

[3] https://energie-partagee.org/decouvrir/energie-citoyenne/tous-les-projets/

[4] https://occitanie.ademe.fr/expertises/territoires-en-transition/energies-renouvelables-cooperatives-et-citoyennes ; https://occitanie.ademe.fr/expertises/territoires-en-transition/energies-renouvelables-cooperatives-et-citoyennes et https://www.ademe.fr/collectivites-secteur-public/animer-territoire/mobiliser-acteurs-territoire/developpement-projets-denergie-renouvelables-a-gouvernance-locale et https://www.ademe.fr/collectivites-secteur-public/animer-territoire/mobiliser-acteurs-territoire/developpement-projets-denergie-renouvelables-a-gouvernance-locale

[5] Énergie Partagée, 2019. Les retombées économiques locales des projets citoyenshttps://energie-partagee.org/wp-content/uploads/2019/12/Note-technique-Etude-Retombees-eco-Energie-Partagee.pdf

[6] https://www.enr-citoyennes.fr/energie-citoyenne/plus-value-citoyenne/

[7] NDLR : https://www.journal-enr.org/blog-2/ et https://www.journal-enr.org/telechargement/journal-des-energies-renouvelables-hs-2021-04/

[8] Démarche qui fait l’objet d’un travail de valorisation engagé par les auteurs. 

[9] NDLR : https://coopawatt.fr/

[10] https://www.welko.fr/ademe/Atelier5.pdf

[11] Étude menée en région Occitanie en 2019 dans le cadre de l'audit de l'appel à manifestation d'intérêt « EnR coopératives et citoyennes ».

[12] Projet de recherche action participative CIT’ENR (ADEME) https://websie.cefe.cnrs.fr/cit-enr/ et https://www.ademe.fr/content/citenr-projets-denergies-renouvelables-territoire-emergence-coordination-impact-etude-comparative-modeles-co-developpement

[13] Cabinet ISEA Projects – Etudes, recherche et accompagnement en Sciences Sociales et comportementales - Domaine St Joseph, 34510 Florensac, France – dorian.litvine@iseaprojects.com

[14] Groupes de recherche « Energy Transitions, Markets, Environment » et « Climate neutral communities », EIFER–European Institute for Energy Research, Emmy-Noether Strasse 11 – 76131 Karlsruhe, Allemagne.

www.actu-environnement.com

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