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Sans changements radicaux des usages de l'eau, la France subira de fortes tensions
30/06/2025

La troisième étude du haut-commissariat à la stratégie et au plan montre que les écosystèmes seront sous tension durant plusieurs mois consécutifs lors des printemps et des étés secs © GERARD DUSSOUBS
Des travaux du haut-commissariat à la stratégie et au plan montre que seuls des changements radicaux des usages de l'eau permettront de contenir le risque de fortes tensions et de répondre aux besoins des écosystèmes en 2050, en France.
« La dégradation de la situation hydrique va survenir sur la quasi-totalité du territoire, a projeté Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département environnement du haut-commissariat à la stratégie et au plan (HCSP), à l'occasion d'un point presse, mardi 24 juin. Sans changements radicaux dans les usages de l'eau, les tensions sur les écosystèmes et les conflits d'usage pourraient fortement s'aggraver. »
Ces projections découlent d'un croisement entre plusieurs scénarios des besoins en eau en 2050 et de la ressource potentiellement disponible à cet horizon dans une France découpée en 40 bassins versants. L'objectif de l'étude ? Identifier les mois les plus critiques et les territoires les plus vulnérables. Cette confrontation constitue le troisième volet (1) d'un travail engagé par le service d'appui au Premier ministre France Stratégie avant sa fusion avec le haut-commissaire au plan. Une première étude publiée en 2024 s'était en effet concentrée sur l'estimation des prélèvements et des consommations d'eau. Plus récemment, en janvier dernier, des travaux s'étaient intéressés aux évolutions de la demande en eau en fonction des choix de la société à l'horizon 2050. L'ensemble de ces études ciblent pour l'instant l'Hexagone et la Corse. Un travail particulier a été engagé pour les territoires d'outre-mer.
Le troisième volet dévoilé aujourd'hui montre que les écosystèmes seront sous tension durant plusieurs mois consécutifs lors des printemps et des étés secs, avec plus de 90 % des bassins en situation de stress l'été. Un constat qui se vaut même lors d'année humide en Corse, dans le Sud-Est et dans le Sud-Ouest.
Trois scénarios d'usages et de projections
Pour ce troisième volet, le haut-commissariat à la stratégie s'est appuyé sur les résultats des précédentes études avec une variation de la demande en eau selon trois modèles de société : le premier scénario, dit « tendanciel », qui prolonge le fonctionnement du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui ; le second, appelé « politiques publiques », qui simule les effets de politiques publiques comme la Stratégie nationale bas carbone (2) ou celle de réindustrialisation de la France ; et le troisième de « rupture », qui projette une société sobre (3) . Ce dernier s'inspire du scénario « coopérations territoriales » du travail prospectif Transition(s) 2050 de l'Ademe. « Les mesures de sobriété sont, par exemple, pour l'agriculture, une régulation des surfaces agricoles équipées de système d'irrigation, l'augmentation du recours à l'agroécologie, la réduction des cultures destinées à l'élevage, a précisé Hélène Arambourou. Pour l'habitat, cela revient à séparer à la source les urines des fèces. »
“ Les constats sont entourés d'incertitudes, mais ils montrent une dégradation forte qui nécessite des actions dès à présent, mais également de protection et de réparation des milieux, afin de faire face au stress hydrique ”
Clément Beaune, haut-commissaire à la stratégie et au plan
Le haut-commissariat a considéré et présenté les résultats pour le scénario d'émissions de gaz à effet de serre pour une France à + 4 °C, ainsi que la projection « violet » d'Explore 2, qui table sur de forts contrastes saisonniers en précipitations. « Nous avons fait ce choix pour anticiper des projections défavorables. Le but, c'est d'organiser et de prévoir les politiques publiques pour les prévenir, a expliqué Hélène Arambourou. Nous avons étudié deux modèles hydrologiques [Smash et Orchidée], mais nous présentons les résultats pour le modèle [Orchidée] le plus optimisé. L'autre a moins de points de simulations, notamment dans les bassins côtiers. » Une comparaison est donc réalisée entre une année avec un printemps-été sec ou, à l'inverse, humide. Autre point de méthodologie à garder en tête : seuls les prélèvements en eau de surface ont été pris en compte… ce qui pèse sur les résultats dans les bassins où l'eau souterraine est prélevée en majorité ou quand les nappes et les cours d'eau sont en étroite interaction. « Nous avons exclu les masses d'eau souterraines, car les données dont nous disposions ne permettent pas de descendre au niveau mensuel », a justifié Arthur Gaillot, conseiller scientifique du département environnement du HCSP.
Des actions à engager dès à présent
Si les limites de cette étude ne sont pas à négliger, les résultats tracent des tendances pour préparer l'avenir. « Les constats sont entourés d'incertitudes, mais ils montrent une dégradation forte qui nécessite des actions dès à présent, dans le prolongement du Plan eau, mais également de protection et de réparation des milieux, afin de faire face au stress hydrique », a estimé Clément Beaune, haut-commissaire à la stratégie et au plan. Ceci d'autant plus que la contamination des masses d'eau pourrait venir encore réduire la quantité disponible.
L'étude HCSP montre une évolution conséquente des pressions en fonction du modèle de société. Ainsi, pour une année avec un printemps-été sec, dans le scénario « tendanciel », 75 % des bassins versants subiraient une tension sévère sur leurs prélèvements au moins un mois dans l'année, contre 42 % dans le scénario de rupture. Pour ce qui concerne la consommation, l'intensité des tensions s'avère également moins forte dans le scénario de rupture (33 %) que tendanciel (plus de 50 %). « Le sud et l'ouest de la France seront particulièrement vulnérables car ils cumulent des tensions à la fois sur les prélèvements et sur les consommations », a constaté Simon Ferrière, chef de projet du département environnement du HCSP.
Les équipes ont simulé l'évolution de la situation hydrique pour ce qui concerne les prélèvements entre 2020 et 2050 et montrent une aggravation de la situation pendant plus de six mois pour l'ensemble des modèles de société, mais de façon plus marquée pour le scénario « tendanciel » (78 %) et « politiques publiques » (68 %) que le scénario « de rupture » (45 %).
« Les scénarios « tendanciel » et « politiques publiques » exercent peu de régulations sur les surfaces équipées pour l'irrigation. Or quand il n'y a pas de limitation, nous observons une augmentation très importante de la consommation », a précisé Hélène Arambourou.
Si le même exercice réalisé pour la consommation montre de façon plus marquée l'aggravation des situations sur la quasi-totalité du territoire, il met aussi en évidence des tensions masquées par la simulation précédente. « Par exemple, dans la vallée du Rhône, dans l'exercice d'évolution de la situation pour les prélèvements, nous avions observé une amélioration. Là, nous constations pour la consommation une dégradation », a souligné Hélène Arambourou. La différence viendrait des choix opérés pour le nucléaire. L'implantation de la paire d'EPR sur le site du Bugey et la modernisation des circuits de refroidissement des centrales nucléaires les plus anciennes situées dans la vallée du Rhône s'accompagnent en effet d'une augmentation des consommations, mais pas des prélèvements. « Il n'y a que le scénario de rupture pour venir contrer la dégradation dans la majorité des bassins versants de l'étude, a constaté Hélène Arambourou. Ces données appellent des études locales pour identifier dans les territoires les évolutions et mettre en place des gouvernances et un partage de l'eau à travers les PTGE (projets de territoire pour la gestion de l'eau, ndlr), les Sage, etc ».
L'agence de l'eau du bassin Adour-Garonne, particulièrement concerné par les conséquences du changement climatique, présente lors de la conférence de presse, appelle également à une prise de conscience locale. « Depuis les années 1970, nous constatons la réduction des débits sur l'ensemble de notre bassin. Cette étude apporte des éléments complémentaires et nous incite à l'action, a noté Laurent Verdié, directeur planification de l'agence de l'eau Adour-Garonne. Localement, nous avons dix ans pour agir et mettre en place les évolutions structurelles qui vont nous permettre de faire face à ces situations. »
Un changement à engager dès à présent. « Plus nous anticipons et plus nous prenons les mesures en amont, moins nous subirons : ce sera moins brutal que des mesures de fin de parcours », a assuré Clément Beaune.
1. Télécharger « Confrontation entre la ressource en eau et la demande à l'horizon 2050 »
2. Lire « Quelle stratégie pour l'énergie et le climat »
3. Il mise sur une forte réduction de la consommation de viande par rapport à actuellement, le développement des pratiques agroécologiques sur la totalité des surfaces agricoles et la limitation des surfaces irriguées via des politiques publiques de régulation. La production industrielle diminue et les usages résidentiels sont divisés par plus de deux.
Dorothée Laperche / actu-environnement