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Plastiques en mer : un problème de taille (suite)

02/03/2021

Plastiques en mer : un problème de taille (suite)

Des scientifiques du projet Pepsea prélèvent des macro et microplastiques sur la plage des Rouleaux dans la baie Sainte-Marie en Guadeloupe  © Cyril FRESILLON / PEPSEA / CNRS Photothèque

Dans l'eau, les plastiques s'érodent, se fragmentent notamment en micro et nanoplastiques. Le suivi de ces processus n'est pas simple et pose la question de leur devenir final. Y compris pour les plastiques biodégradables. Explications.

Stable et résistant, le plastique a séduit de nombreux industriels dès les années 50 que ce soit pour la construction, le secteur automobile, médical ou encore le conditionnement de produit de consommation. Avec l'explosion de leur utilisation et une gestion de leur fin de vie pas toujours adaptée, une bonne part se retrouve désormais dans l'environnement, notamment dans les océans. Ils représenteraient ainsi de 50 à 80 % de l'ensemble des déchets retrouvés en mer.

Avec, en retour de bâton, leur relative résistance initialement recherchée. Car si de lents processus de dégradation sont observés, ils ne peuvent pas absorber les quantités rejetées.

Des scientifiques s'intéressent toutefois de près à cette question et tentent de mieux comprendre le cycle du plastique. En janvier 2019, ils ont uni leurs compétences au sein d'un groupement « Polymères et Océans ». Début février, ces derniers présentaient leurs derniers travaux lors de leurs journées nationales. Des résultats et des problématiques également exposés d'une journée technique organisée par Hydreos ainsi qu'une conférence de presse du CNRS.

Comprendre le vieillissement du plastique dans l'eau

« Mieux comprendre les mécanismes de dégradation/fragmentation des plastiques est important pour mieux prédire la distribution de ces déchets dans l'environnement mais aussi parce que la taille et la forme jouent sur les impacts : l'adsorption/relargage de contaminants, l'assimilation par des organismes, etc. », explique Matthieu George, physicien des polymères, maître de conférence à l'Université de Montpellier, Laboratoire Charles Coulomb.

Dans la dégradation des chaînes carbonées des polymères, qui constituent les plastiques, trois grands types de facteurs interviennent : les rayonnements UV, les molécules d'eau et les microorganismes. Les deux premiers entraînent des phénomènes d'érosion et de fragmentation. Une fois le matériau suffisamment altéré, les microorganismes peuvent alors consommer le carbone et poursuivre la dégradation. Les phénomènes de vieillissement à l'œuvre sont toutefois complexes. Plusieurs verrous gênent encore la compréhension totale des processus de dégradation et de la formation de micro ou nanoplastiques. Des informations manquent notamment sur la composition des plastiques et les scientifiques ont du mal à déterminer le temps de vie ainsi que l'évolution des débris. « Les études sont réalisées en laboratoire mais il faudrait les faire en milieu naturel, pointe Pascale Fabre, physico-chimiste, directrice de recherche au CNRS, Laboratoire Charles Coulomb et directrice du groupement « Polymère et Océans ». Nous avons besoin de particules modèles qui seraient représentatives de l'environnement et de lancer des travaux notamment sur les propriétés de surface des microplastiques ».

Les particules dans l'environnement très différentes des modèles

Ce besoin de se rapprocher de la réalité du terrain est également vrai pour les travaux sur la toxicité de ces matériaux. « Durant les années passées, les scientifiques ont beaucoup utilisé des microplastiques modèles - souvent des sphères, bien calibrées en taille et en composition alors que les plastiques environnementaux réels représentent une très grande variété de taille, forme (fibres, fragments, films, etc.), contenu en additifs, etc - pour comprendre la toxicité, aujourd'hui nous essayons d'utiliser des matériaux en conditions réelles », souligne Ika Paul-Pont, écotoxicologue, chargée de recherche au CNRS, au laboratoire des sciences de l'environnement marin.

Ces différences entre les particules qui ont vieilli dans l'environnement et les modèles manufacturés représentent également des enjeux analytiques. « Les nanoplastiques interagissent avec des ions, de la matière organique pour faire une sorte de couronne nommé éco-corona alors que les nanofacturés sont entourés de tensioactifs, précise Alexandra Ter Halle, directrice scientifique de l'association « Expédition 7e continent » et directrice de recherche au CNRS à l'université Paul Sabatier de Toulouse. Cela a une incidence sur la caractérisation de ces particules ».

Selon la scientifique, pour l'instant, les travaux d'analyse des nanoplastiques dans des échantillons naturels restent trop peu nombreux : elle a ainsi recensé un article qui s'intéresse à l'eau de mer, deux aux eaux continentales, un à un échantillon atmosphérique, un à la neige, un au sable et un au sol. Et il n'existe pas d'exemple dans la littérature scientifique de détection de nanoplastiques « environnementaux » dans les organismes. Dans ces derniers, les travaux se concentrent sur les microplastiques jusqu'à une dizaine de micromètres.

« Les défis analytiques sont réels, note Alexandra Ter Halle. Il reste des efforts à faire pour passer de la détection au dosage. Et nous ne disposons pas assez de travaux sur les méthodes d'extraction ».

Quelle biodégradabilité dans l'océan ?

Les limites rencontrées pour le suivi posent la question du devenir réel des plastiques biodégradables en mer : finissent-ils par disparaître totalement ou subsiste-t-il de petits morceaux résiduels ? Même si certains matériaux semblent constituer de bons candidats pour limiter la pollution aquatique. « De nouveaux polymères comme le PHBV, un plastique biodégradable, est prometteur en termes de biodégradabilité, note ainsi Pascale Fabre. Des objets en PHBV immergés 78 mois en mer présentent une perte de 75 % de leur masse initiale ».

Pour s'assurer de la disparition totale du matériau, les scientifiques se penchent sur la dernière étape du processus de dégradation : l'assimilation par des microorganismes, comme les bactéries. « Ces étapes sont difficiles à suivre en milieu marin, le suivi du CO2 est complexe car il est piégé par l'eau de mer », pointe Anne-Leïla Meistertzheim, docteur en biologie marine au Laboratoire d'océanographie microbienne de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) et PDG de la société Plastic@Sea, notamment spécialisée dans l'étude de la biodégradabilité des plastiques en mer. Une des méthodes classiquement utilisées pour suivre la dégradation par les microorganismes des plastiques biodégradables est en effet la mesure du taux de dioxygène de carbone libéré. Lorsqu'un seuil est dépassé – différent en fonction des milieux - le plastique est considéré comme biodégradable.

Autre obstacle à la bonne compréhension des phénomènes : les bactéries connues pour leur appétence pour les plastiques en laboratoire ne représentent qu'une faible part de la grande diversité présente dans les océans. « La biodégradation complète est un phénomène qui implique une synergie entre les microorganismes, détaille Jean-François Ghiglione directeur de recherche CNRS en Écotoxicologie microbienne marine au Laboratoire d'Océanographie Microbienne. Les outils de la biologie moléculaire nous permettent de suivre la biodiversité bactérienne totale qui vit sur les plastiques (plastisphère), même si les travaux sur les souches isolées restent nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes moléculaires de biodégradation ».

Enfin, les parties prenantes doivent conjuguer avec une autre difficulté :  le manque de normes de spécification – qui fixent des exigences et des seuils de performance à atteindre – dans le milieu marin.

S'attaquer à la corruption et aux lobbies

D'un point de vue réglementaire, la surveillance de cette pollution n'en est qu'à ses balbutiements. « La Directive Cadre Stratégie pour le milieu marin s'intéresse à 11 paramètres de bon état marin dont un prend en considération la pollution plastique, souligne François Galgani, océanographe et écotoxicologue responsable du centre Ifremer de Bastia. Cette nouvelle pollution sera donc très probablement réglementée au cours des années à venir ». Un indicateur des microplastiques dans les sédiments serait également en cours d'examen.

A moyen terme, au niveau européen, une proposition en discussion souhaiterait interdire les produits contenant des microplastiques ajoutés intentionnellement s'ils peuvent être rejetés dans l'environnement. Concernant la réglementation française à venir, un suivi dans les boues des stations d'épuration pourrait également être envisagé.  « La législation force à réfléchir à de nouveau modèle, cela implique l'acquisition de connaissances et des impacts pour les industriels. Le phénomène est lent car les investissements sont lourds », souligne Stéphane Bruzaud, spécialiste de sciences des matériaux, professeur à l'Université Bretagne Sud, Institut de recherche Henri Dupuy de Lôme.

Pour s'attaquer à cette pollution, les solutions devront être multiples : que ce soit la limitation des apports et la réduction des fuites, l'amélioration de la fin d'usage et de vie, le traitement des eaux ou encore le recours à de nouveaux matériaux. « Une étude s'est penchée sur la progression du nombre de déchets gérés de manière inadéquate si rien n'était fait : au final, en 2050 nous aurions 110 millions de tonnes par an si le « business as usual » se poursuit mais 44 millions de tonnes par an si la corruption et l'influence des lobbies est sous contrôle dans les 43 pays les plus polluants, rapporte Pascale Fabre, directrice du GDR « Polymère et Océans ». Les solutions technologiques seront insuffisantes ».

Par ailleurs, le nettoyage des océans est difficilement envisageable de par les coûts associés. Et les plastiques vieillis en mer peu recyclables. « Il faudra passer par une adaptation : penser la fin d'usage dès la conception des plastiques et construire un nouveau modèle économique », conclut Fabienne Lagarde, chimiste de l'environnement, maîtresse de conférence à Le Mans Université, Institut des molécules et matériaux du Mans.

Dorothée Laperche / www.actu-environnement.com


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