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Agriculture : Les firmes industrielles à l’assaut des terres françaises ?

04/03/2023

Agriculture : Les firmes industrielles à l’assaut des terres françaises ?

Un agriculteur laboure son champs dans les Hauts-de-France. Photo illustration. — Philippe HUGUEN / AFP

TRANSMISSION Auchan, Chanel, L’Oréal, Altho et ses chips Bret’s… Dans un rapport publié ce mardi, Terre de Liens s’inquiète de l’accaparement de terres agricoles françaises par des firmes industrielles

  • A qui appartiennent les terres agricoles en France ? La question est au cœur d’un rapport que publie ce mardi l’association Terre de Liens, qui aide les jeunes agriculteurs à s’installer.
  • Terre de Liens déplore un sujet tabou alors que la connaissance du profil de ces propriétaires devrait être un outil clé pour nos politiques agricoles. Encore plus au moment où se pose le défi du renouvellement des générations d’agriculteurs.
  • Dans son rapport, l’association s’inquiète notamment de l’émergence d’un nouvel acteur de la propriété : les sociétés agricoles financières, derrière lesquelles se cachent des firmes industrielles. Inquiétant ?

L’opération se voulait discrète. En 2015, la société chinoise Reward achetait 1.700 ha de terres agricoles dans l’Indre, puis 900 autres dans l’Allier, dans l’optique d’ouvrir 1.500 boulangeries en Chine approvisionnées en farine française, gage de qualité. Depuis Reward a fait faillite, rapportait l’Agence france presse à l’été 2019.

Il n’empêche, ces transactions ont mis au grand jour la question de savoir à qui appartiennent les terres agricoles en France. La réponse ? Elle est toujours autant difficile à obtenir, regrette Terre de Liens. C’est le premier problème que pointe l’association qui aide à l’installation de jeunes agriculteurs dans un rapport publié ce mardi.

L’image d’Epinal de l’agriculteur propriétaire

En 1977, Edgar Pisani, ancien ministre de l’agriculture, s’alarmait déjà de ce manque de transparence, rappelle Coline Sovran, chargée de plaidoyer à Terre de Liens. « Le constat n’a pas ou peu évolué depuis. La dernière enquête sur la propriété des terres agricoles, en France, remonte à 1992 alors que ça devrait être une information centrale pour piloter nos politiques agricoles. »

Une certitude : l’agriculteur propriétaire de ses terres relève de plus en plus de l’image d’Epinal. « Seules 35 % des terres cultivées appartiennent aujourd’hui aux agriculteurs et agricultrices qui les travaillent, recadre Coline Sovran. Les 65 % restant – soit 16 millions d’hectares, leur sont loués par des tiers. » Ces derniers gardent des pouvoirs de décisions majeures. « Ce sont eux qui choisissent de confier ou non leurs terres à des agriculteurs et qui en déterminent les conditions », rappelle le rapport. De facto, ça leur donne un certain contrôle sur l’usage qui est fait de ces terres : servent-elles à installer de nouveaux agriculteurs ou à agrandir des exploitations existantes ? A produire de la nourriture ou à autre chose ? A faire du bio ou non ?

Les firmes, nouvel acteur de la propriété ?

D’où l’importance de mieux cerner le profil de ces propriétaires. Parmi ceux-ci, Terre de Liens observe l’émergence d’un nouvel acteur* : les sociétés agricoles financiarisées. « Elles contrôlent aujourd’hui 14 % de la surface agricole française, dont 640.000 ha en faire-valoir direct, c’est-à-dire en propriété », précise Coline Sovran. Elle distingue ces sociétés financiarisées des autres sociétés d’exploitation agricoles, « comme les Groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) ou les Exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) ». « Ces dernières sont faites par et pour les agriculteurs, et garantissent, par leurs statuts, que ces sociétés restent aux mains des agriculteurs, compare-t-elle. Ce garde-fou saute dans les sociétés financiarisées, en permettant notamment à des entreprises, non agricoles, d’entrer au capital, voire d’en prendre le contrôle. »

Reward n’est qu’un exemple. Terre de Liens cite d’autres grandes entreprises qui ont acquis du foncier agricole ces dernières années**. « C’est Euricom (premier groupe européen dans le négoce du riz) qui possède 1.300 ha de riz en Camargue, Chanel et L’Oréal qui achètent des terres à prix d’or pour produire leurs plantes à parfum dans les Alpes-Maritimes, ou encore Auchan et ses plus de 800 hectares de terres acquis par le biais de sa foncière Ceetrus France », cite le rapport. Mais Terre de Liens évoque surtout le groupe Altho, producteur des chips Bret’s, principalement depuis son usine près de Pontivy (Morbihan).

Altho et les chips Bret’s, un cas d’école en Bretagne ?

Laurent Cavard, pdg d’Altho, tombe des nues. « Une fois nettoyée, nous avons pour obligation de valoriser l’eau utilisée dans le processus de fabrication de nos chips, raconte-t-il. Nous avons ainsi construit un réseau d’irrigation que nous avons proposé aux agriculteurs voisins de notre usine. Quand ils sont partis à la retraite, ne trouvant pas de repreneurs, ils sont venus nous voir. » Voilà comment Altho dit être devenu propriétaire de trois fermes, qui exploitent 135 ha de terres, dont 80 propriétés du groupe. « Soit 0,004 % du foncier agricole breton***, tempère Laurent Cavard. Nous n’y produisons pas de pommes de terre et ces acquisitions visent seulement à sécuriser ce réseau d’irrigation. La dernière date de 2020 et nous n’en prévoyons pas d’autres. »

Mais plus que les surfaces acquises, Terres de Liens épingle surtout la façon de faire. « Ces fermes ont d’abord été transformées en Société civile d’exploitation agricole (SCEA), ce qui permet l’entrée au capital d’Altho, décrit l’association. Celui-ci prend la gérance de la société, puis les parts des associés exploitants lui-sont finalement transférés, faisant alors du groupe le propriétaire des fermes et des terres agricoles. » Un cas typique des montages réalisés par ces firmes agroalimentaires, déplore Tanguy Martin, également chargé de plaidoyer à Terre de Liens. «Ils permettent d’échapper au contrôle de la Safer, le gendarme des terres en France qui a pour mission d’orienter les ventes de terres en France vers de nouvelles installations et une agriculture nourricière, explique-t-il. Emerge ainsi un marché parallèle par lequel transiteraient au moins 200.00 ha de terres désormais chaque année. »

Un boulevard pour cette « agriculture de firme » ?

C’est alors autant d’exploitations qui passent sous le nez de jeunes agriculteurs et qui vont, bien souvent, à l’agriculture intensive, craint Terre de Liens. « Ces sociétés financières cherchent rarement à nourrir leur territoire, mais se tournent vers des grandes cultures [céréales pour Altho par exemple], industrialisent les pratiques agricoles et participent à la déqualification du métier en remplaçant les chefs d’exploitations par des salariés, regrette Tanguy Marin. On est à rebours des objectifs affichés par nos politiques agricoles. »

Pour l’association, il y a urgence à agir. « La moitié des terres agricoles sont détenues par des personnes qui ont plus de 65 ans aujourd’hui, rappelle Coline Sovran. Treize millions d’hectares pourraient donc changer de main dans les dix prochaines années, au moment même où se profile un départ massif d’agriculteurs à la retraite. » Laisser ces terres à « l’agriculture de firme » n’est pas la seule option, assure Terre de Liens. 20.000 jeunes se présentent aussi chaque année au « Point d’accueil installation », la porte d’entrée pour les porteurs de projets agricoles. « Et bon nombre ont toutes les peines à trouver des terres justement », pointait l’association, il y a un an tout juste. Depuis Emmanuel Macron a annoncé, pour cette année, une loin d’orientation agricole sur le renouvellement des générations. « Elle est en ce moment en discussion », note Coline Sovran, Reste à savoir si elle sera à la hauteur. Dans son rapport, Terre de Liens pousse toute une série de recommandations, à commencer par celle d’assurer une plus grande transparence sur la propriété des terres en France.

*Pour son rapport, Terre de Liens a commandé une étude au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Céréma) pour mieux cerner la structure des propriétés agricoles en France.

** Terre de Liens s’appuie notamment sur le livre enquête Hold-up sur la terre, de la journaliste Lucile Leclair, parue en février 2022 (ed Seuil/Reporterre).

*** Laurent Cavard rappelle que son entreprise a une deuxième usine au Pouzin (Ardèche) où elle ne possède pas de fonciers agricoles et ne cherche pas à le faire.

20minutes.fr



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