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Biodiversité : le gouvernement contraint d'intégrer la science dans la gestion des espèces

08/06/2022

 Biodiversité : le gouvernement contraint d'intégrer la science dans la gestion des espèces

Le grand tétras est classé vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées en France.  © WildMedia

En contraignant la ministre de la Transition écologique à interdire la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire national pendant cinq ans, le Conseil d‘État impose la prise en compte de la science dans la gestion des espèces.

La décision rendue le 1er juin par le Conseil d'État est à marquer d'une croix blanche. À la demande de sept associations de protection de l'environnement, dont France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées, elle enjoint à la ministre de la Transition écologique de prendre, avant le 15 juillet 2022, un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire national pendant cinq ans. Au-delà de cette espèce, cette décision impose au gouvernement d'intégrer la science dans la gestion de la biodiversité dans le cadre d'une véritable gestion adaptative des espèces.

Le Conseil d'État en avait déjà posé le principe dans une décision rendue en décembre 2020 à la suite d'un recours de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) contre un arrêté ministériel autorisant la chasse du courlis cendré. Selon celle-ci, il appartient au ministre chargé de la chasse, au vu des recommandations du Comité d'expert sur la gestion adaptative (Cega), de suspendre la chasse d'une espèce d'oiseau en mauvais état de conservation lorsque « les données scientifiques disponibles sur l'espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique ».

Ne pas compromettre les efforts de conservation

Si la chasse du grand tétras n'est interdite ni par les textes européens ni nationaux, elle doit être réglementée de telle manière que « le nombre d'oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de l'espèce dans son aire de distribution », indique le Conseil d'État dans cette nouvelle décision. Or, le mauvais état de du grand tétras, classé vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées en France, impose de s'abstenir de tout prélèvement pendant une durée assez longue afin de respecter les obligations qui découlent de la directive Oiseaux. Ses effectifs ont en effet été divisés par cinq dans les Pyrénées depuis les années 1960, selon France Nature Environnement.

Compte tenu de la situation de l'espèce et dans l'attente d'éventuelles données nouvelles sur l'évolution de son état de conservation, le Conseil d'État juge la chasse du grand tétras incompatible avec le maintien de l'espèce. D'où la nécessité de la suspendre pour permettre sa reconstitution dans les différents sites de son aire de répartition. C'est-à-dire dans les Vosges et le Jura, où elle est interdite depuis 1981, mais surtout dans les Pyrénées, où elle était encore autorisée les saisons de chasse précédentes.

Cette décision devrait permettre de sortir de la guérilla judiciaire qui oppose depuis des années les associations de protection de la nature aux préfets signataires d'arrêtés d'autorisation de chasse, ainsi qu'aux fédérations de chasseurs qui les ont inspirés. Elle est en effet l'aboutissement d'un combat judiciaire démarré en 2008 par les associations requérantes. « Depuis quatorze ans, 55 succès juridiques ont été obtenus inlassablement par notre mouvement associatif contre la chasse de cette espèce dans les départements pyrénéens », explique FNE. Mais ces succès n'empêchaient pas certains préfets des Pyrénées de « reprendre des arrêtés illégaux chaque automne, sous la pression du monde cynégétique, tandis que le ministère de la Transition écologique demeurait silencieux », explique la fédération d'associations de protection de l'environnement.

Autres espèces en mauvais état de conservation

La solution apportée par la justice administrative au grand tétras pourrait s'appliquer aux autres espèces en mauvais état de conservation, pour lesquelles la chasse n'est pas compatible avec le maintien de leur population. La question se pose en particulier pour les trois autres espèces actuellement soumises à gestion adaptative, que sont la barge à queue noire, le courlis cendré et la tourterelle des bois.

Le concept de gestion adaptative, annoncé par Nicolas Hulot dans le plan biodiversité présenté en juillet 2018, était l'un des objets de l'arrangement passé entre Emmanuel Macron et la Fédération nationale de la chasse lors de la réunion du 27 août suivant. Celle-ci allait provoquer la démission du ministre de la Transition écologique et solidaire. Alors que l'on était en droit de voir dans ce concept le moyen de diminuer la pression de chasse sur les espèces menacées, les représentants des chasseurs y ont vu, au contraire, l'opportunité d'accroître cette pression sur les espèces en bon état, voire d'allonger la liste des 64 espèces chassables en France.

Ce qui explique pourquoi l'association One Voice a attaqué le décret du 27 août 2020 qui fixe la liste des espèces soumises à gestion adaptative. Par une deuxième décision, rendue également ce mercredi 1er juin, le Conseil d'État rejette toutefois la requête de l'association de défense des animaux et valide par conséquent le décret.

« S'il n'est pas contesté qu'en l'état des connaissances scientifiques, ces quatre espèces sont en mauvais état de conservation, le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'autoriser d'éventuels prélèvements », juge le Conseil d'État. Il appartient en outre au ministre chargé de la chasse, au vu, le cas échéant, des recommandations du Cega, de suspendre la possibilité de chasser une espèce d'oiseau vivant à l'état sauvage en mauvais état de conservation, répète la Haute Juridiction. Sauf que ce comité, installé en mars 2019, a fait long feu.

Confusion des genres

« La confusion des genres entre expertise scientifique et débat sociétal n'a jamais permis de garantir un fonctionnement serein et a limité la capacité du Cega à émettre des avis objectifs en toute indépendance », explique Yves Vérilhac, directeur général de la LPO dans un article publié par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). « Et quand il y parvint, en préconisant par exemple de suspendre dès 2019 la chasse de la tourterelle des bois et du courlis cendré, ajoute M. Vérilhac, le ministère de l'Écologie pour satisfaire, "quoiqu'il en coûte" à la biodiversité, les intérêts cynégétiques à court terme, autorisa par arrêtés un quota de prélèvement de 18 000 tourterelles et de 6 000 courlis pour la saison 2019-2020. » Face à cette situation, plusieurs scientifiques démissionnèrent du comité en 2021 sans être remplacés, entraînant de facto sa dissolution, rappelle le responsable associatif.

Si le Conseil d'État valide la liste des espèces soumises à la gestion adaptative, il reste au gouvernement à donner sa véritable dimension à ce concept. En faisant en sorte que la réglementation des prélèvements ne compromette pas la conservation de ces espèces, que cette gestion permette de renforcer les connaissances scientifiques sur celles-ci, et que le ministre de la Transition écologique puisse suspendre la chasse lorsque le maintien de leur population et la régulation équilibrée de l'espèce ne peuvent être garantis.

« La gestion adaptative ne peut constituer un prétexte pour continuer de chasser des espèces déjà en mauvais état de conservation en contradiction avec les directives européennes transcrites en droit national », explique Yves Vérilhac. « Une véritable conservation de prévention doit avoir pour objectif de rendre les pratiques cynégétiques durables et de développer des modes de gestion adaptée, ayant pour socle les données et résultats scientifiques », ajoute le directeur de la LPO. Ces deux décisions du Conseil d'État y contribuent.

Laurent Radisson / www.actu-environnement.com

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