Le salon des Solutions
environnementales & énergétique du Grand Est

Les Actualités

Premiers écoquartiers en Europe : d'une mobilisation aux politiques publiques

20/10/2025

Premiers écoquartiers en Europe : d'une mobilisation aux politiques publiques

Si les premiers écoquartiers voient le jour en Europe dans les années 1990, ils continuent d’inspirer, 30 ans plus tard. Petit récit de leur évolution. 

Selon la chercheuse Florence Rudolf, c’est en 1994, dès la signature de la Charte d’Aalborg, que les écoquartiers sont identifiés comme un levier d’action pour créer un urbanisme durable. 

À cette époque, des projets pionniers d’écoquartiers commencent également à émerger en Europe. C’est le cas du quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne.  

D'un mouvement à un quartier

Au début des années 1990, la ville envisage de raser les bâtiments de l’ancienne caserne sur un terrain d’une quarantaine d’hectares qu’elle vient d’acquérir.  

En pleine crise du logement, les citoyens se mobilisent. En 1992, un groupe d’étudiants crée SUSI (en allemand, Société autogérée et indépendante d’habitat) et rénove plusieurs bâtiments en logements sociaux. Conjointement, un groupe de citoyens crée le Forum Vauban, une association citoyenne, pour réfléchir à la conception d’un écoquartier. 

« Nous voulions construire ce qu’on appelait un écoquartier, mais nous n’avions aucune idée de ce que cela voulait dire », se souvient Andreas Delleske, habitant du quartier depuis sa création. Pendant trois ans, grâce à un financement de l’Union européenne, les habitants organisent une quarantaine d’ateliers avec des professionnels, et des groupes de travail se forment sur divers sujets : la gestion des eaux usées, les matériaux de construction écologiques, la gestion des déchets, l’énergie, la mobilité, l’usage de la voiture, entre autres. 

De ces rencontres émergent des centaines d’idées, dont la moitié sont adoptées. 

En parallèle, la ville de Fribourg-en-Brisgau commercialise des parcelles du site, en priorisant les groupes de construction formés par des particuliers (les Baugruppen) plutôt que les projets de promoteurs. 

« Avec la ville, nous avons établi un système de points pour accorder les parcelles », se souvient Andreas Delleske. « Nous voulions, par exemple, prioriser les jeunes familles, les personnes qui envisageaient de construire des maisons passives avec des matériaux écologiques, et celles qui renoncent à l’usage de la voiture individuelle. » 

Plusieurs mesures permettent de réduire les coûts de construction pour les groupes d’habitants, comme le choix de ne pas construire de stationnement dans leur bâtiment ni dans les rues.  

Ceux qui possèdent une voiture doivent prouver qu’ils sont propriétaires d’une place de stationnement, soit dans l’un des deux garages du quartier, soit à l’extérieur de celui-ci. « Les places coûtent entre 17 000 et 21 000 euros : c’est le coût réel de la voiture individuelle, et les autres [ceux qui n’en possèdent pas] n’ont pas à participer à ce coût », assure M. Delleske. 


Vauban en Allemagne. Crédit : Passivhaus Vauban

Andreas Delleske est fier de dire qu’avec son groupe de construction, ils ont bâti la première résidence multifamiliale passive d’Allemagne, dont la consommation de chauffage s’élève à 15 kilowattheures par mètre carré et par an, dépassant largement les réglementations de l’époque. 

« C’était surprenant pour les artisans [constructeurs], car, généralement, les promoteurs veulent construire au moindre coût, puisque ce sont leurs locataires qui paient les factures d’énergie. » 

Si, à l’époque, ce projet a permis à Andreas Delleske d’accéder à la propriété à un prix abordable, il se désole que les appartements n’échappent pas aujourd’hui à la spéculation immobilière. 

Aujourd’hui, près de 5 600 habitants vivent dans le quartier, répartis dans 370 bâtiments. Si le quartier se compose en grande partie de logements (environ 2 000), à Vauban, les habitants ont aussi accès à des services de proximité : boulangerie, restaurants, pharmacie ou encore garderies. 

Vauban et les politiques environnementales de Fribourg-en-Brisgau continuent d’inspirer les professionnels de l’aménagement, que ce soit au niveau de l’espace urbain, qui privilégie la mobilité douce, ou de la performance énergétique des bâtiments, entre autres. 

Béatrice Ledésert, responsable de la Chaire Écoquartier et villes durables de l’Université CY Cergy-Pontoise, en France, y emmène chaque année ses étudiants. « Ce qui est exceptionnel à Fribourg, c’est qu’avant de construire un nouveau quartier, on commence par y amener le tram », illustre Mme Ledésert. 

Labelliser les écoquartiers 

Depuis les premiers projets d’écoquartiers, plusieurs labels et certifications se sont développés en Europe, comme la certification DGNB en Allemagne ou SEED en Suisse. 

En France, le label ÉcoQuartier est créé en 2012. Il regroupe vingt indicateurs, comme la part de bâtiments existants rénovés énergétiquement, la part de logements sociaux, la densité bâtie ou le pourcentage de ménages utilisant un mode alternatif à la voiture pour le trajet domicile-travail, entre autres. 

Loïc Guilbot est chef de groupe Projets de territoire et aménagement au Cerema, un établissement public qui accompagne les collectivités à mettre en place des projets d’aménagement durable. Si leur projet est sélectionné, elles bénéficient d’un accompagnement allant de l’organisation de consultations citoyennes à la construction du modèle économique, en passant par l’intégration de la nature en ville, explique Loïc Guilbot. 

Une grande partie des projets sélectionnés pour obtenir le label ÉcoQuartier intègre du renouvellement urbain, comme le réaménagement d’un quartier existant, l’amélioration de son cadre bâti et de ses espaces urbains. 

« Aujourd’hui, un projet qui propose un [étalement urbain] sans justifier tout un travail important déjà effectué sur l’existant ne serait pas retenu », assure Loïc Guilbot. 

Même si obtenir le label ÉcoQuartier est gratuit, cela nécessite toutefois que la collectivité investisse du temps pour faire les démarches, concède Loïc Guilbot. 

Du côté du Québec, Nathalie Prud’homme, présidente de l’Ordre des urbanistes du Québec, remarque que, même si les municipalités intègrent de plus en plus les questions environnementales dans les schémas d’aménagement urbain, il n’y a pas de programme spécifique dédié aux écoquartiers. Il faut donc répondre en silo à plusieurs programmes différents. 

« L’appellation écoquartier n’est pas reconnue par un label comme on le voit en Europe », regrette-t-elle. « Elle pourrait avoir plusieurs définitions selon à qui on parle. » 

Aux normes de l’ONU 

En Europe, les critères pour concevoir des écoquartiers continuent d’évoluer et de s’adapter à l’urgence climatique. 

À moins de trente minutes du centre-ville de Copenhague en métro (ou à vélo), le projet UN 17 Village au Danemark est en construction. À terme, il comportera cinq bâtiments s’étendant sur 35 000 mètres carrés et pourra accueillir plus de 800 habitants. 

C’est aussi le premier développement urbain d’envergure au monde à intégrer les 17 objectifs de développement durable de l’ONU.  

Par exemple, il offrira aux habitants la possibilité d’avoir un potager (objectif 2, Faim « zéro ») et favorisera la biodiversité grâce à la présence de végétation et de bassins de filtration de l’eau sur le site (objectifs 6, Eau propre et assainissement, et 15, Vie terrestre), entre autres. 


UN 17 Village, au Danemark. Crédit : Niels Nygaard

Chaque bâtiment du projet sera également destiné à un groupe d’âges différent : les étudiants, les personnes âgées, les expatriés, tandis que deux d’entre eux seront réservés aux familles. « Nous avons utilisé notre expérience sur différents projets pour faire en sorte que les gens se rencontrent, brisent la solitude et puissent lier des amitiés », précise Mia Scheel, architecte et directrice marketing chez Sweco Group, membre du consortium qui a remporté l’appel d’offres il y a six ans. « Nous avons donc enlevé 15 à 20 % de la superficie des appartements et nous les avons ajoutés aux espaces communs, qui sont accessibles à [tous les habitants du quartier]. » 

Du côté des matériaux, une partie d’entre eux est sourcée localement, tandis que d’autres sont issus du réemploi et du recyclage. Par exemple, certaines fenêtres ont été fabriquées avec du verre recyclé, tandis que les façades en béton sont constituées d’agrégats provenant de céramique, de verre ou de sanitaires. 

Avec le projet UN 17 Village, l’équipe de Sweco a aussi réalisé une innovation majeure au Danemark. « Nous avons réussi à construire un bâtiment de sept étages en CLT [bois lamellé-croisé] sans aucun traitement chimique », précise Mia Scheel. Pour cela, l’équipe a dû effectuer des tests d’incendie qui ont coûté environ 500 000 euros au client. Ils ont tout de même mené à l’adoption d’une nouvelle norme qui permet désormais d’opter pour une structure similaire. 

Il n’y a toutefois pas eu de consultation citoyenne avec les futurs habitants pour concevoir UN 17 Village, précise Mme Scheel. 

Béatrice Ledésert constate d’ailleurs que la participation citoyenne et la mixité sociale ne sont plus au centre de la conception des écoquartiers. « C’est [souvent] plus une volonté des villes de reconquérir des territoires tombés en déshérence et d’en faire des vitrines environnementales », remarque-t-elle. 

**Il s’agit du premier de deux textes consacrés aux écoquartiers. Pour lire la suite, cliquez ici.**

Qu’est-ce qui définit un écoquartier ?

Si un écoquartier doit intégrer les principes du développement durable, les critères précis pour le définir varient.

Pour Béatrice Ledésert, responsable de la Chaire Écoquartier et villes durables de l’Université CY Cergy-Pontoise, plusieurs principes doivent être respectés : « Il faut de la mixité sociale, de la mixité de fonctions [logements, commerces, etc.]. Il doit être bien relié au reste de la ville par les transports en commun et intégrer des espaces qui privilégient la mobilité douce à l’intérieur même du quartier. C’est aussi important de préserver la nature [existante] au maximum, tout en rénovant ou en construisant des bâtiments performants d’un point de vue énergétique, en privilégiant des matériaux biosourcés, par exemple. »

Normes élevées au Danemark

Si le projet UN 17 Village atteint des standards de conception durable particulièrement élevés, les nouveaux bâtiments au Danemark doivent désormais se conformer à des normes exigeantes. Depuis janvier 2023, la nouvelle réglementation danoise oblige les concepteurs à réaliser des analyses de cycle de vie (ACV) sur les 50 prochaines années pour tous les nouveaux bâtiments de plus de 1 000 m². Depuis juillet dernier, leurs émissions de carbone ne doivent pas dépasser 7,1 kg d’équivalent CO₂ par m² et par an, soit 355 kg sur 50 ans. 

voirvert.ca

Annonce Publicitaire