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Vorace et vectrice de désinformation, l'intelligence artificielle est-elle une menace pour le climat ?

24/03/2024

Vorace et vectrice de désinformation, l'intelligence artificielle est-elle une menace pour le climat ?

Réunies en centres de données, les quantités d'informations utilisées et les puissances de calcul exigées pour les traiter demandent toujours plus d'énergie et d'eau.    © Gorodenkoff

Les IA génératives, comme ChatGPT, pullulent. Pourtant, plusieurs ONG soulignent que ces technologies sont de plus en plus consommatrices d'énergie et d'eau et que leur utilisation facilite déjà la diffusion de désinformation et du climatosepticisme.

Le 13 mars, le Parlement européen a adopté à une très large majorité la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle. Mais si cet AI Act (ou loi sur l'IA) émis par la Commission européenne a le mérite de vouloir encadrer l'emballement autour des intelligences génératives (comme l'outil ChatGPT, lancé fin 2022 par OpenAI), il n'aborde pas les coûts climatiques, énergétiques et hydriques du fonctionnement de ces technologies. Or, selon une cohorte de plusieurs ONG internationales, ces derniers n'ont rien d'anodin : « Les IA génératives posent deux dangers immédiats majeurs qui ne sont que trop peu discutés : l'augmentation drastique de leurs consommations énergétique et hydrique ; et l'explosion de désinformation qu'elles peuvent produire. »

Un besoin croissant en énergie et en eau

Dans leur état des lieux (1) , publié le 7 mars, la coalition du Climat contre la désinformation (CAAD), dont font partie les Amis de la Terre, l'ONG britannique Global Action Plan (GAP) et l'association américaine d'investigation Check My Ads, ainsi que Greenpeace et l'association américaine antiraciste Kairos mettent en exergue la voracité potentielle des technologies productrices de textes et d'images. Celles-ci s'appuient sur une quantité de données et des puissances de calcul, réunies en data-centers, de plus en plus importantes pour être développées, entraînées (suivant la méthode de l'apprentissage automatique, ou machine learning) et utilisées. Et plus les capacités du modèle créé sont larges, plus la consommation est grande.

Sur une thématique aussi clivante que le réchauffement climatique, il n'est pas difficile de produire des contenus niant la nécessité de renverser la situation ” - CAAD

« Entraîner le modèle de langage GPT-3 d'OpenAI a demandé l'équivalent de l'énergie consommée annuellement par 120 foyers américains, rapportent les ONG dans leur enquête. Et en faire de même pour son successeur, GPT-4 [sur lequel se base l'agent conversationnel, ChatGPT, NDLR], en a nécessité quarante fois plus. » Ainsi, ces technologies qui, à terme, visent à se substituer aux moteurs de recherche plus classiques n'ont pourtant pas un coût énergétique comparable. En 2023, la direction d'Alphabet, la maison-mère de Google, estimait qu'un « prompt » (une question posée ou tout autre commande faite par un utilisateur) fait à une IA générative demanderait l'équivalent de dix fois l'énergie consommée par une simple recherche sur Google (laquelle ne s'appuie pas sur une immense base de données). Et ce, alors même que « les entreprises du secteur se gardent bien de publier la grande partie de leurs données sur la question », soulignent toujours les ONG.

Or, à mesure que les grandes sociétés technologiques (d'OpenAI à son premier investisseur, Microsoft, en passant par Google) s'emparent de ce nouveau marché, le nombre de serveurs nécessaires et leur consommation énergétique risquent également d'exploser. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime qu'un doublement des centres de données dans les deux à dix prochaines années pourraient passer leur part dans la consommation mondiale d'électricité de 1 %, à l'heure actuelle, à 13 %. Une telle augmentation ne sera évidemment pas neutre en carbone, quand le secteur de l'énergie reste dépendant du charbon à l'échelle mondiale (65 %) et a émis, en 2023, 37,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) – un nouveau record annuel. Et ce, quand bien même Google, par l'intermédiaire d'une étude commandée en novembre dernier au cabinet Boston Consulting Group, avance que l'amélioration des connaissances permise par les progrès en IA pourrait « atténuer de 5 à 10 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici à 2030 ».

D'autant que l'eau est indispensable à leur fonctionnement. « Entraîner un grand modèle de langage comme celui de GPT-3 a demandé 700 000 litres d'eau, aussi bien pour refroidir les serveurs que pour produire une partie de l'électricité renouvelable qui les alimentaient », indiquent les ONG. De fait, les géants de la « big tech » sollicitent des quantités toujours plus importantes d'eau : 34 % de plus en un an, entre 2021 et 2022, pour Microsoft à travers le monde et 20 % de plus, sur la même période, pour Google. Mettant la main sur une ressource qui, au gré du réchauffement climatique, n'en deviendra que plus rare et essentiel pour des usages beaucoup plus critiques.


Faciliter le lobbying et le climatosepticisme

Que prévoit la loi sur l'IA ?

Encore en attente d'être approuvé par le Conseil de l'Union européenne, le règlement sur l'IA proposé par Bruxelles souhaite encadrer, à partir de 2026, le développement des IA selon une évaluation des risques qu'elles peuvent entraîner. En premier lieu, il veut prohiber l'utilisation de technologies dont le risque est considéré comme « inacceptable » : à savoir, les logiciels utilisant des données biométriques « sensibles », s'appuyant sur des photos portraits publiées sur internet ou qui peuvent manipuler les comportements humains. Les algorithmes des IA dites à « haut risque » (qui ont attrait à l'éducation, à l'emploi, à la santé, à la sécurité, à l'environnement, à la loi ou à la démocratie) devront, quant à elles, être enregistrés dans une base de données, européenne et publique. Du reste, les contenus produits par les IA « génératrices » devront obligatoirement afficher leur nature artificielle. Et des sanctions financières sont prévues si ces dispositions ne sont pas respectées.

Mais l'impact des IA génératives sur le climat ou l'environnement ne s'arrête pas seulement à leurs consommations. Pour les ONG en question, les effets de leur production peuvent être tout autant dommageables pour la lutte contre le réchauffement climatique. D'une part, parce que les entreprises de l'industrie fossile semblent parmi celles qui se sont mises à solliciter les services de ces technologies. Environ « 92 % des sociétés pétrogazières de la planète emploient des technologies d'intelligence artificielle dès à présent, ou les emploieront dans les cinq prochaines années, pour extraire plus d'hydrocarbures plus facilement et en moins de temps », avancent les associations dans leur rapport.

D'autre part, les IA, en particulier celles qui génèrent du contenu sur commande, jouent un rôle de premier plan dans l'intensification de la désinformation. « Les textes produits par les IA deviennent de plus en plus convaincants. Un certain nombre d'études scientifiques confirment que les arguments élaborés sont plus persuasifs que ceux écrits par des humains, même sur des sujets polémiques. Et sur une thématique aussi clivante que le réchauffement climatique, il n'est alors pas difficile de produire des contenus niant la nécessité de renverser la situation », attestent les ONG, citant l'exemple d'un faux scandale des éoliennes offshore responsables de l'échouage de baleines aux États-Unis apparu sur Facebook lors du premier trimestre 2023. De plus, face à l'apparition de nouvelles légions de sites web s'appuyant uniquement sur la production d'IA génératives, « la diffusion de désinformation climatique se fait non seulement plus facilement mais devient économiquement rentable, grâce aux profits générés par la publicité ».

Pour répondre à autant de défis, les ONG invitent les autorités politiques à imposer aux sociétés créatrices d'IA génératives à communiquer publiquement leurs consommations d'énergie et d'eau, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre produites tout au long du cycle de vie de leurs technologies. Par ailleurs, pour renforcer la transparence sur la production de ces dernières, notamment en ce qui concerne les sujets environnementaux, elles engagent ces sociétés à construire de nouveaux standards industriels compatibles avec les conclusions du Groupement international d'experts sur le climat (Giec).

1. Télécharger le rapport des ONG

Félix Gouty / actu-environnement


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