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Glyphosate : que disent vraiment les études sur la dangerosité de cet herbicide si controversé ?

21/11/2023

Glyphosate : que disent vraiment les études sur la dangerosité de cet herbicide si controversé ?

Lors d’un rassemblement de manifestants venus de Bretagne et des Pays de la Loire vendredi 10 novembre 2023, à Angers. Ils réclamaient le non-renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne, (Photo d’archives).

La Commission européenne doit se prononcer ce jeudi 16 novembre 2023 afin d’autoriser ou non l’utilisation du glyphosate dix ans de plus. Une décision de prolongation qui pourrait intervenir malgré les levées de boucliers qui pointent ses effets cancérogènes, et des études contradictoires menées sur l’herbicide controversé, qui se retrouvent au milieu de la mêlée. Que disent-elles ? Pourquoi divergent-elles ? On fait le point.

Le glyphosate, employé comme herbicide, pourrait s’offrir un nouveau répit : la Commission européenne se prononcera ce jeudi 16 novembre. L’objet du vote ? Renouveler pour dix ans son utilisation au sein de l’Union européenne, alors que son autorisation devait expirer en décembre. De quoi ravir nombre d’agriculteurs et industriels, mais aussi surprendre nombre de scientifiques.

Étant l’herbicide le plus vendu au monde – à l’instar du Roundup de Monsanto – le glyphosate soulève d’importants enjeux économiques et politiques, sous lesquels la science peine à se faire entendre, d’autant que les nombreuses études sur le glyphosate disent tout et son contraire. Que disent vraiment les études sur la dangerosité du glyphosate ? Pourquoi les avis sont-ils si contradictoires ? On fait le point.

Pas de « préoccupation critique » pour l’Efsa

Sur quelles études s’appuie la Commission européenne pour proposer aux États membres de renouveler jusqu’au 15 décembre 2033 l’autorisation du glyphosate  ? Elle se base sur deux évaluations. La première, la plus récente, est celle de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) rendue en juillet dernier. Son verdict : « L’évaluation de l’impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique ». En ce qui concerne sa toxicité, l’Ensa pointe seulement « un risque élevé à long terme pour les mammifères ».

Pointant aussi des « lacunes » dans les données, l’Efsa affirme ne pas pouvoir se prononcer sur le potentiel clastogène du glyphosate (c’est-à-dire son potentiel à provoquer des cassures de l’ADN), de même que ses effets sur les plantes aquatiques et sur le risque alimentaire pour le consommateur. Sur ce point, toutefois, l’Efsa estime que la quantité de résidus de glyphosate dans les cultures de rotation (carottes, laitue, blé…) « ne devrait pas conduire à un dépassement des niveaux de sécurité toxicologique », concluant qu’« aucune préoccupation critique n’a donc été identifiée ».

L’Ensa affirme s’être appuyé sur 2 400 études liées à la santé humaine, animale et environnementale et fait valoir qu’il s’agit de son évaluation « la plus complète et la plus transparente d’un pesticide ».

Lors d’un rassemblement de manifestants venus de Bretagne et des Pays de la Loire vendredi 10 novembre 2023, à Angers. Ils réclamaient le non-renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne, (Photo d’archives). | FRANCK DUBRAY / OUEST FRANCE

RAS pour le régulateur des produits chimiques

La seconde évaluation sur laquelle se repose l’exécutif européen est celle de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), publiée en mai 2022, qui estime que les preuves scientifiques disponibles ne permettent pas de classer le glyphosate comme cancérogène. Pas de preuves suffisantes non plus pour étayer son caractère génotoxique (pouvant altérer le génome d’êtres vivants), ou encore d’éventuels effets sur la fertilité.

En revanche, l’agence européenne confirme classer le glyphosate comme une substance causant des lésions oculaires grave et comme toxique pour la vie aquatique.

L’OMS : le glyphosate, « probable cancérogène »

Ces avis des agences européennes prennent à contre-pied l’évaluation du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a classé en 2015 le glyphosate comme « cancérogène probable ».

Le centre estime qu’il existe des preuves « limitées » que le glyphosate est cancérogène pour l’homme concernant le lymphome non hodgkinien (cancer du sang) et qu’il existe des preuves « solides » que le glyphosate peut également provoquer le cancer chez les animaux de laboratoire.

Le CIRC juge également « solides » les preuves démontrant la génotoxicité (pouvant altérer le génome d’êtres vivants) du glyphosate, tant pour le glyphosate « pur » que pour les formulations de glyphosate.

Pour émettre leurs conclusions, les experts du CIRC se sont basés sur environ 1 000 études « indépendantes et libres de tout intérêt particulier », portant à la fois sur des personnes exposées, comme les agriculteurs, ainsi que sur des études expérimentales sur le cancer.

L’Inserm : risque de cancer du sang

Une étude plus récente de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) confirme en 2021 les conclusions de l’OMS. L’institut français conclut à « l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkiniens » avec « un niveau de présomption moyen ».

L’expertise pointe également des « sur-risques » pour le myélome multiple et les leucémies, mais avec un niveau de « présomption faible », du fait de résultats « moins solides ». L’Inserm pointe également des excès de cas de cancers chez les rongeurs, bien que les types de tumeurs divergent.

D’autres études pointent des effets cancérogènes

Une analyse américaine publiée en 2019, basée sur les études épidémiologiques existantes, a démontré que le risque de développer un lymphome non hodgkinien augmente de 41 % pour les travailleurs les plus exposés.

Interrogée par Médiapart , Laurence Huc, toxicologue et spécialiste des pesticides à l’Institut national pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) évoque également une analyse groupée « de la plus grande cohorte internationale d’agriculteurs – plus de 3 millions d’individus suivis –, qui montre un risque augmenté de 36 % pour le type de lymphome non hodgkinien le plus courant ».

Pourquoi tant de résultats divergents ?

Comment expliquer que des études soulignent le caractère cancérogène du glyphosate, et d’autres non ? Ces divergences seraient liées à la sélection des études retenues pour appuyer ces analyses.

Selon la spécialiste Laurence Huc, l’Efsa s’est ainsi appuyé sur des études qui respectent la certification « bonne pratique de laboratoire », une norme datant des années 1970, censée garantir la qualité des analyses. Selon la toxicologue, elle écarte toutefois des aspects de la recherche sur le microbiote ou encore les effets sur les gènes.

C’est pourquoi, selon elle, les chercheurs académiques ne cherchent même plus à obtenir ce label, et préfèrent valoriser la validation par les pairs. Par ailleurs, franceinfo pointe également le fait qu’obtenir le label est coûteux, ce que les universités et autres centres de recherche indépendante ne peuvent pas souvent s’offrir, contrairement aux industriels.

« L’Efsa écarte énormément de résultats scientifiques et retient les dossiers montés par les industriels eux-mêmes, qui fournissent leurs propres séries de manipulations en laboratoire », juge Laurence Huc, dénonçant une « truanderie ». Elle pointe notamment les résultats d’une analyse du chercheur Charles Benbrook qui montre que « quand les auteurs des publications ne sont pas en conflit d’intérêts, 75 % des études concluent à un effet génotoxique du glyphosate (sous la forme commercialisée du Roundup) », rapporte-t-elle.

ouest-france

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