Le salon des Solutions
environnementales du Sud-Ouest

Les Actualités

L’enjeu des toits en ville dans la transition énergétique

30/09/2023

L’enjeu des toits en ville dans la transition énergétique

Une tribune signée Philippe Alluin, Ingénieur-Architecte, chargé d’enseignement dans le Mastère Spécialisé®  TEC XX Transformation écologique des constructions du XXe siècle

 En France, nos zones urbaines concentrent un peu plus de 40 % des consommations d’énergie. Les constructions neuves y étant de plus en plus rares, le véritable enjeu énergétique des villes se trouve en réalité dans les bâtiments existants. Les immeubles d’habitation construits durant les « trente glorieuses » y sont largement représentés, et sont couverts le plus souvent par les toits-terrasse. Dès 1910, Le Corbusier désignait dans ses Œuvres complètes le toit-terrasse comme l’un des cinq points d’une architecture nouvelle, en montrant combien ils pouvaient être multifonctionnels : on trouve sur les toits de la Cité Radieuse ( 337 logements, Marseille 1952) une école, un gymnase, des pistes de sport, belvédères et autres.

Mais les toits de nos immeubles modernes sont pour l’essentiel réduits à la fonction de toiture, et le plus souvent inaccessibles. A l’heure du réchauffement climatique, on incrimine les toits-terrasses et on envisage de les peindre en blanc. Effectivement, les toits-terrasse en ville, en général de teinte foncée, absorbent et stockent la chaleur (effet « albédo » ). Mais chercher des réponses sur cette seule question serait une grave erreur. Car ces toits-terrasse constituent de multiples opportunités pour de nouveaux usages : activités ludiques, nouvelles fonctions de service, production d’énergie, valorisation foncière et autres possibilités, souvent complexes et parfois contradictoires. Se contenter de les peindre pour les adapter aux problématiques de réchauffement climatique serait rater une l’occasion de revaloriser ces immeubles dans une réelle démarche vertueuse : ils occupent une place centrale dans le développement durable et la transition énergétique en ville, et constituent de réelles opportunités de valeur ajoutée.

Tout d’abord, les toits-terrasse en ville embarquent les questions de biodiversité : on peut facilement les « verdir » en transformant les surfaces minérales en surface végétalisées, apporter des solutions à la gestion de l’eau (rétention, absorption), et y faire émerger les activités d’agriculture urbaine. Les exemples de réalisations existent, encore trop rares.

Ensuite l’utilisation du foncier aérien par surélévation d’immeubles, qui s’inscrit dans l’histoire des villes, devient plus fréquente dans le contexte « Zéro artificialisation nette ». Hélas les récentes réalisations sont focalisées sur le seul objectif de dégager le maximum des bénéfices financiers au profit des propriétaires d’immeubles, le plus souvent au détriment des autres objectifs.

Mais surtout, en termes de production d’énergie, les toits-terrasse représentent un gisement important d’énergie renouvelable. A Paris, et selon l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme), 27 % des immeubles disposent d’un ensoleillement annuel moyen supérieur à 800 kW/m2, offrant 3,8 millions de m2 de toits plats d’une surface de plus de 200m2. Imaginer couvrir la totalité de ces toits de panneaux solaires n’est évidemment pas réaliste, d’autant que ces installations sont complexifiées par les contraintes d’ordre juridique, technique, et règlementaire. Des installations de production ont bien été ponctuellement réalisées, notamment sur des bâtiments de logement à vocation sociale et quelques équipements publics, mais ces réalisations sont faites sans réfléchir à une réelle intégration urbaine et patrimoniale.

C’est précisément cette absence de prise en compte de l’intégration des productions d’énergie dans leur contexte qui en fait le frein dans leur développement : les panneaux sont implantés en fonction de l’optimum technique et financier, ce qui donne des résultats déplorables en terme d’architecture. Quelques exemples d’une parfaite intégration existent, hélas trop rares.

Le développement des installations de productions d’énergie photovoltaïque en ville, qui devrait s’accélérer avec les récentes évolutions du cadre juridique de l’autoconsommation collective, ne sera possible, et accepté, que s’il embarque une vision globale du toit-terrasse.

Il s’agit donc de conduire un projet non pas en fonction d’un seul objectif, mais avec une vision d’ensemble embarquant les questions d’usage, de réchauffement, de biodiversité, de production d’énergie, et bien sûr d’équilibre financier. Cette posture convoque des compétences pluridisciplinaires qui s’imbriquent et sont interdépendantes (aspects techniques, architecturaux, juridiques et financiers). Cette complexité est confrontée à l’insularité des savoirs telle que la décrivait Bourdieu, ou Edgar Morin quand il expose les méfaits de l’hyperspécialisation dans notre monde contemporain.

C’est donc dans une approche approche globale et pluridisciplinaire des enjeux que nous devrions mettre en valeur les toits en ville, afin qu’émergent de nouveaux usages dont certains contribueraient au financement des travaux, et qu’à cette occasion on les rende actifs dans la transition énergétique (isolation thermique, confort d’été, gestion de l’eau, biodiversité), et bien sûr producteurs d’énergie. A l’étranger, cette nouvelle approche des toits-terrasse donne lieu à des actions de la part de collectivités locales et de professionnels, par exemple à Rotterdam, au travers des Rooftop Days, apparus voici huit ans. La première session parisienne a eu lieu les 9 et 10 septembre derniers, c’est un signe de prise de conscience du potentiel de nos toits.

On a là une réelle opportunité d’amélioration de nos villes et de notre patrimoine urbain, opportunité qui s’inscrit parfaitement dans les objectifs de la transition énergétique. Les architectes, techniciens du bâtiment et autres professionnels de l’immobilier devraient s’y employer sans tarder.

lemondedelenergie

Annonce Publicitaire