Le salon des Solutions
environnementales du Sud-Ouest

Les Actualités

Réparation des préjudices écologiques : une voie pour redonner ses droits à la nature

06/02/2023

Réparation des préjudices écologiques : une voie pour redonner ses droits à la nature

Ce préjudice exige une réparation "en nature", le coupable doit mettre en œuvre des mesures concrètes pour corriger son atteinte à l'environnement ©Pixabay/MiamiAccidentLawyer

Affaire du Siècle, Terreos, tortues d’Hermann, la notion de "préjudice écologique" est au cœur de plusieurs procès. Explications avec maître David Deharbe du cabinet Green Law Avocat.

En avril 2020 dans le Nord, le bris d’une digue de l'usine Tereos provoque la pollution massive du fleuve de l’Escaut, qui traverse la France, la Belgique et les Pays-Bas. L’enquête qui suit cet incident signale "la diminution de 50 % du nombre d’espèces et 90 % des effectifs" des poissons s’y trouvant. Trois ans plus tard, le tribunal judiciaire de Lille condamne le géant du sucre à plus de 9 millions d’euros de dommages et intérêts, ainsi que 8,86 millions d’euros de préjudice écologique à la Région wallonne (Belgique). Tereos a fait appel de cette décision fin janvier. L'entreprise n'est pas la seule à avoir été condamnée au nom de ce préjudice écologique, une notion qui s'installe dans la loi et dans les tribunaux.

La réparation de préjudice écologique est une notion étudiée par les juristes depuis le début des années 2000. La réparation "pure" consiste à demander réparation "pas seulement d’un préjudice moral, mais causé à la nature, et donc une réparation pour la nature", nous explique David Deharbe, avocat spécialiste de l’environnement. Son cabinet, Green Law Avocat, a représenté la Fédération du Nord pour la Protection du Milieu aquatique dans le procès contre Tereos. Lui-même tente avec les habitants d’Evin-Malmaison de faire reconnaitre la responsabilité de l’État dans le scandale Metaleurop.

La nature comme sujet de droit

"On a érigé la nature en sujet de droit", continue maître Deharbe. Ce préjudice exige une réparation "en nature", le coupable doit mettre en œuvre des mesures concrètes pour corriger son atteinte à l'environnement. À défaut, elle peut être monétaire, reversée à une association agréée ou à une administration. La notion vit dans la jurisprudence depuis le naufrage du pétrolier Erika en 1999. Mais son inscription dans la loi prendra un peu plus de temps.

D’abord sous la forme d’une directive européenne en 2004, transposée en France en 2008. La loi donne alors pouvoir aux préfets d’émettre un arrêté de réparation du préjudice écologique dès qu’il est constaté, sans passer par un procès. Cette procédure a été appliquée en 2021 dans l’affaire Tereos. Il faudra attendre 2016 pour que la loi sur la biodiversité inscrive la notion dans le Code civil. Finalement, L’Affaire du Siècle reconnait le préjudice en droit administratif, permettant de poursuivre les entités publiques, comme l’État.

De plus en plus d'actions à venir ?

À première vue, les actions pour réparation de préjudice écologique sont peu nombreuses. "Les associations ont pris l’habitude de baser leurs actions en justice sur le préjudice moral fait à leur objet social [c’est-à-dire à l’environnement], cette nouvelle démarche peine à être intégrée", éclaire maître Deharbe.

Toutefois, la réparation de préjudice écologique s'inscrit dans l’air du temps : "les magistrats s’organisent, en plus d’une forte demande sociale. Il y a une forme de pénalisation du droit de l’environnement, parallèlement à une pression mise sur l’État pour intervenir". La notion vient en effet se greffer sur la politique pénale, qui condamne de plus en plus d’infractions contre la nature. Le 23 janvier, deux domaines viticoles ont été condamnés pour avoir illégalement défriché dans une réserve naturelle. L’amende pour défrichage illégal est accompagnée d'une autre, 195 000 € de préjudice écologique, pour avoir détruit l’habitat de tortues d’Hermann, une espèce en voie d’extinction en France.

Des "petits" procès aux grands enjeux

La loi de décembre 2020 créée une procédure de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) sur l’environnement, soit une reconnaissance préalable de culpabilité et un engagement à réparations, sans avoir à passer devant la cour. Ces procédures sont moins médiatisées que les procès des grands groupes, visant surtout les petites entreprises ou des agriculteurs. Il y a pourtant une dizaine de CJIP en cours, et déjà une condamnation pour "déversement de substances nocives pour le milieu aquatique" en Haute-Loire en 2022. Si les sommes en jeu sont peu conséquentes, ces CJIP permettent de régulariser rapidement les entreprises aux normes environnementales, et obligent une réparation en nature visible.

David Deharbe envisage très positivement l’avenir de ces démarches. L’actualité ne manque pas de cas de pollution massive, entre algues vertes et rejets plastiques sur la côte ouest. Ces grands dossiers trouveront peut-être dans l’action en réparation de préjudice écologique une compensation à la hauteur des dommages. Concluant son argumentaire, l’avocat sourit : "Tout reste à faire, mais tout commence à être fait".

www.linfodurable.fr

Annonce Publicitaire